Il y a des films, aussi rares soient-ils, où l’on sait, dès lors qu’ils s'achèvent, qu’on ne les oubliera jamais. L’inconnu du lac fait partie de ces films-là, ceux qui se finissent en nous laissant submergés par un spasme de plénitude esthétique presque douloureux. Nous voilà face à du grand cinéma, merci.
En plein été dans le Sud-Ouest de la France, Frank se rend régulièrement près d’un lac aux bords sauvages, où se draguent et se prélassent au soleil des hommes homosexuels. Dans cet îlot qui semble en dehors du monde, il se lie d’amitié avec Henri, un homme solitaire et récemment divorcé. Ainsi que Michel, un bel homme aux traits élancés, duquel il va tomber amoureux. Un soir, depuis les bois, Frank assiste à un meurtre. L’assassin n’est autre que Michel.
Le film nous invite à pénétrer au cœur d’un lieu où la nudité constitue la norme. C’est avec un regard franc, affirmé, sans ambages et sans détour que le cinéaste aborde l’homosexualité. Du parking jusqu’au bord du lac, la frontière avec le reste de la société s’épuise jusqu’à (presque) périr complètement. La forêt baignant sous le soleil de l'été apparaît ainsi comme un passage transitoire entre deux mondes. C’est dans cet espace qui résonne comme un microcosme de la vie homosexuelle, que le film nous prête un regard voyeuriste, mais également celui de témoin d’un meurtre.
Petit à petit, la sortie au lac se ritualise : Frank se gare dans le parking, traverse la forêt, arrive près du lac, salue ses amis et s’installe. Ce lieu a un effet sur le personnage qui pourrait s’apparenter à une forme de contamination ; il y va de plus en plus fréquemment, et finit par venir tous les jours. Le lac acquiert ainsi une présence à lui seul qui contamine tous ses usagers d’une certaine façon.
En effet, ce lac, à l’étendue vertigineuse, crée ainsi un effet de renfermement ; plus le film progresse, plus le lieu semble se refermer. Au même titre que la forêt, dont les petits coins intimement ombragés laissent toujours la possibilité d’entrevoir ce qu’il se passe. On retrouve la même ambiance un peu dérangeante (pas au sens péjoratif bien sûr) dans son dernier film Miséricorde (2024) dans lequel il est prêté à la fôret la même “fonction” : le lieu où tout peut advenir, où un personnage peut apparaître de n’importe où, sans que l’on puisse prévoir sa venue. Dans L'inconnu du lac, c’est la même idée - et elle se mettra d’ailleurs au service de l’angoisse et du suspens lors de la dernière séquence (lorsque Michel égorge Henri et part à la poursuite de Frank). En effet, cette séquence finale semble être l’aboutissement absolu du regard voyeuriste qui demeure tout le long du film. Allongé dans l’herbe haute ou abrité derrière le feuillage, Frank se cache de Michel pour mieux se révéler à lui dans un plan final où les traits de son buste d’effacent dans la profondeur de la forêt.