Voir le papa des "Affranchis" porter à l'écran un bouquin pour minimoys, le tout en 3D, à la maison ça nous faisait peur, même si on s'était fait à l'idée que l'ancien enfant terrible du cinéma était devenu respectable depuis qu'il mettait en boîte des films oscarisables. Quelle ne fut pas ma surprise à l'issue d'une projection placée sous le signe du merveilleux (c'était la vieille de Noël 2011, donc ça aide. oui, lecteur, je remonte le temps pour toi. grande âme je suis.).
Quittant rarement sa gare d'un Paris imaginaire superbement reconstitué par Dante Ferreti et les effets visuels, évitant subtilement l'effet carte postale hollywoodien (même si on n'échappe pas à ce satané accordéon), Martin Scorsese nous plonge dans un microcosme peuplé de personnages tous plus attachants les uns que les autres, allant du chef de gare retors (Sacha Baron Cohen, excellent) à la fleuriste inaccessible en passant par les amours contrariés de deux amoureux des chiens, seconds rôles servant admirablement une fable qui sait prendre son temps pour nous conter son histoire.
A la surprise générale (du moins pour ceux comme moi qui n'ont jamais ouvert le bouquin), "Hugo Cabret" vogue à contre-courant du cinéma familial actuel, délaissant l'action trépidante et les running-gags pour se concentrer sur les mystères d'un simple automate rouillé, secrets qui d'ailleurs n'auront rien à voir avec une quelconque arme de destruction massive ou un trésor caché (je pensais vraiment voir le FBI débarquer. faut vraiment que j'arrête de regarder "Le géant de fer", moi !) mais qui auront pour but de réhabiliter un personnage oublié de tous. Une idée risquée mais grandiose, faisant de "Hugo Cabret" une oeuvre exigeante mais ô combien émouvante quand elle nous plonge dans les souvenirs à la fois douloureux et nostalgiques d'un vieil homme qui avait décidé de ne plus jamais rêver.
Car le but de Scorsese est bien là, rendre un hommage grandiose à la création et à la puissance de l'imagination, et surtout, en grand cinéphile qu'il est, aux premiers magiciens du septième art, à ces diables d'hommes sans qui rien n'aurait été possible.
Habité par une certaine force tranquille, Scorsese fait preuve une fois de plus d'une maîtrise incroyable de la mise en scène, accouchant de plans sublimes sans jamais avoir l'air d'en faire trop, utilisant l'espace comme personne. Quand à la 3D, dont on redoutait tout au premier abord, il parvient à la transcender totalement, à l'incorporer naturellement dans la conception du film en lui-même, tel un horloger. Loin d'être un simple gadget, elle sert avec intelligence le propos, allant même jusqu'à faire un parallèle entre son utilisation initiale (abolir la frontière entre l'écran et les spectateurs) et l'effet qu'on ressentit les curieux lors de la projection de "L'entrée du train dans la gare de la Ciotat".
Porté par un casting parfait dominé par Asa Butterfield, révélation du film, et un Ben Kingsley qu'on n'avait pas vu aussi juste depuis "House of sand and fog", "Hugo Cabret" est un véritable chef-d'oeuvre de poésie, vibrant hommage d'un immense cinéaste envers ses pairs, et qui, je l'espère, fera découvrir aux plus jeunes tout un monde dont ils ignorent encore l'existence.