Ce qui frappe, durant la petite heure que dure ce documentaire suédois, c'est la relation si particulière entre Hugo et Rosa. Ultimes frère et sœur centenaires d'une fratrie qui en comptait neuf, ils ont évolué au cours du siècle dernier vers une forme d'amour platonique hors du temps. On ne saurait dire s'il s'agit d'un amour fraternel ou d'un amour d'un autre type, c'est une relation extrêmement touchante que le réalisateur est parvenu à capter sereinement, pudiquement, pendant les dix dernières années de leurs vies. Ou de "leur vie", tant les deux semblent rigoureusement partager la même. Confortablement installés dans leur petite maison sans eau ni électricité, ils vaquent à leurs occupations paisiblement, lui coupe du bois, elle joue de l'accordéon, et tous les deux chantent. Ils ont cent ans et témoignent une gaieté et une joie de vivre exceptionnelles.
Il suffit de peu de choses, seulement quelques gestes et quelques regards complices pour ressentir leur complémentarité, leur attachement d'une rare intensité. Leurs visages sont parsemés de rides, respectivement accumulés depuis 1900 et 1905, mais ils sont resplendissants. Ils ont pris le temps de vivre heureux. C'est une sorte de conte de fées jusqu'au jour où Hugo tombe malade et où ils doivent quitter leur foyer pour un hospice. L'arrachement de chez eux autant que le séjour forcé sont de véritables crève-cœurs. Ils sont loin de chez eux, loin l'un de l'autre, et pour la première fois on prend vraiment conscience de leur faiblesse. Pour la première fois, on réalise qu'ils ont cent ans. Et loin de tout ce qui comptaient pour eux, ils sont terriblement perdus. Leurs retrouvailles ponctuelles dégagent un bonheur qui irradie à travers l'écran. Ce sera l'ultime sursaut terriblement émouvant avant la mort. Inutile de préciser qu'ils se sont rejoints là-bas, encore une fois, à seulement trois mois d'intervalle. Évidemment.
[AB #119]