Après un premier essai de libéralisation de la forme dans La Dolce Vita, Fellini renonce ici totalement à la forme classique du récit pour passer à l’autobiographie, un peu à la manière, en littérature du Nouveau roman français. À l’instar de Claude Simon, Fellini se dit peut-être à ce moment de sa carrière qu’il est tout aussi intéressant de raconter sa propre histoire qu’une histoire inventée. En partant d’une trame similaire à celle de La Dolce Vita et pour bien montrer ses intentions, Fellini remplace ici le journaliste par un metteur en scène (toujours interprété par Marcello Mastroianni, plus que jamais double et complice de l’auteur) en proie au vertige de la page blanche (la référence mallarméenne est clairement indiquée en toute fin du film). Pour marquer d’ailleurs la similitude entre les deux films, le rôle du père est tenu par le même acteur, Annibale Ninchi. Comme dans La Dolce Vita également, Mastroianni est entouré par un parterre de jolies femmes, Anouk Aimée encore, mais aussi Sandra Milo, Rossella Falk et surtout Claudia Cardinale dont l’apparition dans la scène finale est radieuse. Le film alterne séquences du présent et du passé dans une construction de visionnaire et avec la part d’onirisme habituelle. Le dernier quart d’heure est un moment de cinéma inoubliable : après avoir disparu sous la table dans son face à face avec la presse et le public, le metteur en scène retrouve dignité et créativité perdues et se met à expulser de lui un credo bouleversant d’humanité : « Tout est confus, mais cette confusion, c’est moi… Je n’ai plus peur… La vie est une fête, vivons-la… Parlez-vous, parlez ensemble…Tous sur le manège… » Et comme toujours, le film s’achève par une parade de cirque, des clowns qui jouent de la musique, musique encore et toujours du grand Nino Rota, simple et profonde. Même si l’on n’est pas obligé d’être d’accord avec la démarche fellinienne de remplacer la fiction par la l’histoire personnelle, on ne peut qu’être admiratif devant ce monumental travail et cette nouvelle leçon de cinéma et de vie.
Maqroll
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le 12 juil. 2013

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