La note, c'est moi qui la donne, Federico...
Vous savez ce que c'est.
On entre dans les grandes œuvres, dans ces monuments cinématographiques, dans ces pierres fondatrices d'un art pour lequel nous nous consumons depuis si longtemps avec un mélange d'émotions assez particulier:
- une pointe de honte de ne pas l'avoir vu avant
- une pointe d'appréhension bien légitime (est-ce que ça a bien vieilli ? Le film n'a-t-il pas été porté par d'autres vers un degré de perfection que cet élément fondateur ne pouvait légitimement pas atteindre ? N'est-il pas au fond l'étendard suranné des pédants et des pète-plus-haut-que-mon-cul qui se sont arrogés le droit de l'ériger en œuvre absolue pour mieux masquer leur absence totale de sensibilité à la simplicité ?)
- une grosse pointe, enfin, d'envie et d'optimisme de se voire confronter à ce qui pourrait devenir un moment avec qui on partagera le reste de notre existence.
C'est fort de toutes ces considérations que j'ai engouffré ce Bluray resmastérisé (oui oui, un peu de technique, que diable) dans mon lecteur, en me disant que, pour avoir attendu 48 ans depuis sa sortie pour le voir (dont 42 depuis ma naissance) , autant faire ça le mieux possible, et mettre les éléments matériels de mon côté.
Autant l'annoncer d'emblée: les premières minutes sont une enchantement total, une claque visuelle d'autant plus rare que frappée, près d'un demi-siècle après sa sortie, d'une modernité absolue. Ces moments de rêves sont prodigieux, la photographie renversante, le noir et blanc contrasté d'une beauté diabolique.
Ce choc initial, on s'en doute, nous place dans les meilleures dispositions pour aborder une suite qui ne manque pas de nous maintenir dans cette condition de torpeur béate, emplie d'une félicité jubilatoire.
Ainsi, nous sommes confronté à l'archétype du film en abîme (Fellini se filme en train de réfléchir à ce film dont il cherche l'inspiration) mais où tous les éléments de ce genre, par ailleurs si casse-gueule, sont réussis. A l'image de ce Carini, ce critique de cinéma, qui ne cesse de harceler Mastroianni/Fellini pour lui donner son opinion sur les idées de scénario de ce dernier, ce qui revient, ni plus ni moins, à commenter ce que nous voyons du point de vue d'un critique en en soulignant tous les défauts et les limites.
On passe donc du rêve à une forme de réalité, de la réflexion au fantasme, de la trivialité des relations humaines (un couple qui se défait) à l'apesanteur poétique (et physique: quel rampe de lancement pour astronef !)
Comment, enfin, ne pas dire un mot des acteurs, en soulignant l'extraordinaire plaisir de voir un film moderne ayant près de 50 ans, puisque que nous avons du coup, le meilleur des deux époques: un film qui n'a pas pris une ride formelle, interprété par Marcello Mastroianni, Claudia cardinale ou Anouk Aimée ?
J'ai attendu plusieurs jours pour écrire cette critique, et le film semble encore totalement imprégné dans ma rétine compulsive. Et avec ce point de détail et de précision, c'est très rare.
Désolé Federico, mais huit et demi, c'est trop peu pour ce film (quelqu'un a-t-il d'ailleurs un indice de la signification de ce titre ? Cela a-t-il été écrit quelque part ?), d'autant que senscritique.com n'accepte pas (et je le regrette) les virgules.