Le synopsis nous parlait d’une petite fille zambienne accusée de tous les maux par son village et internée dans un camp de sorcières. Autant dire que je m’attendais à un film dur, lourd et culpabilisant. Comme si l’Afrique n’avait rien d’autre que des larmes et du sous-développement à nous offrir. Bien au contraire, il est vite apparu que ce film avait quinze coups d’avance, et qu’il déjouait tous les clichés larmoyants et post-coloniaux avec un zèle et un brio forçant l’admiration. En effet, quoi de plus génial que d’accuser des femmes de sorcellerie, les enfermer et les attacher dans un camp, les soumettre au travail forcé, inviter des touristes européens à les prendre en photo, et en faire une comédie hilarante et surréaliste ? Qui pouvait prévoir ça ? Comment s’y attendre ?
Certains critiques ont l’impression que tout ce qui vient d’Afrique est un nourrisson aux os de verre, fragile, à peine formé, qu’il faudrait plaindre plutôt que juger. Ils se sont donc insurgés (mais timidement, avec des pincettes, après tout ce n’est pas de sa faute…) qu’on traite un sujet aussi grave que celui des femmes accusées de sorcellerie avec tant d’humour et de dérision. Voyez-vous, l’Afrique ne devrait rien attirer d’autre que la compassion, et il ne faut pas rire de ces choses-là, même si le regard amusé devait venir d’une Africaine. Ces critiques-là méconnaissent le principe de non-discrimination. Dans la période coloniale et raciste, le Blanc était ouvertement hostile au Noir et s’en justifiait. La phase qui suit, et dont il s’agirait aujourd’hui de sortir, est celle de la compassion, de la discrimination positive, qui est aussi une phase d’infantilisation, de main tendue à celui qui reste perçu comme un inférieur. Mais la troisième phase, la seule juste, la seule qui donne à chacun sa dignité, doit se baser sur un strict principe de non-discrimination. Le film africain doit être jugé exactement comme le film français, russe, américain, indonésien, brésilien. Et on permet sans problème à toutes ces nationalités de faire des films extrêmement critiques sur leur société d’origine, d’utiliser les procédés humoristiques les plus noirs et grinçants. En ce sens, je ne crois pas qu’on aurait pu obtenir une critique de la corruption, de l’ignorance et de l’incompétence des fonctionnaires et de la société zambienne plus efficacement que par cette féroce et attachante caricature.
Mais le plus invraisemblable, c’est le niveau d’ambition délirant de ce film sur tous les panneaux. Il ne fallait pas juste une comédie : la réalisatrice a décidé qu’elle voulait une satire absurde et surréaliste. Les sorcières sont donc toutes attachées dans le dos à de longs rubans blancs reliés à d’énormes bobines qui peuvent se dévider jusqu’à un certain point, puis les empêchent d’aller plus loin. Le fonctionnaire, Mr. Banda, explique aux touristes blancs, enchantés et pas avares de selfies, que c’est le seul moyen pour être sûrs qu’elles ne s’envolent pas. Et ces rubans blancs servent aussi l’énorme ambition esthétique du film, formant à maintes reprises des découpages élégants du cadre, tandis que les couleurs sont toujours choisies avec le plus grand goût. La musique est un autre terrain d’expérimentations réussies : des musiques locales à Vivaldi en passant par une page d’eurodance, tout est aussi culotté que bien senti.
Tout cela transpire d’une maîtrise folle et d’une prise de risque permanente, mais jamais téméraire. Alors qu’il s’agit d’un premier long-métrage. Combien de films par an ont une telle ambition ? Et surtout, combien parviennent à se hisser à la hauteur de telles exigences ?
À la fin de la séance, nous avons offert à la réalisatrice et à son équipe, présentes dans la salle, une longue standing ovation. Autant dire que je suis particulièrement impatient de voir ses prochains films.