Black voices father
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Un assemblage savant sur le thème de l'histoire des noirs aux États-Unis à partir des réflexions brillantes de James Baldwin et son analyse obsessionnelle d'une Amérique morcelée. Son discours s'intéresse principalement aux années 1960, à travers le spectre de trois assassinats de figures de la lutte raciale. Autant de déflagrations traumatiques qui agissent comme rouages pour un Baldwin à la prose belle et implacable, tant dans ses lettres que dans ses interventions télévisuelles.
Au-delà de son aspect rétrospectif, I Am Not Your Negro utilise ces éclairs de génie de l'auteur pour bien sûr mettre en lumière une lutte existentielle encore bien active aux États-Unis. Une des pertinentes phrases de Baldwin, "'l'Histoire n'est pas le passé, mais le présent", sert alors comme de manifeste. Analyste, sociologue, visionnaire hors du commun, il suffira de coller des enregistrements de sa voix à des images de l'Amérique actuelle pour que résonne un déplorable constat d'une société brisée, traumatisée, et encore régulièrement mortifiée par le meurtre de jeunes innocents, noirs, dont les noms et portraits viennent émailler le film.
L'intelligence extrême de James Baldwin et du judicieux travail de Raoul Peck, c'est celui d'une dialectique de l'oppression. Au-delà des couleurs, au-delà des classes, au-delà même d'une histoire à traumas transmise de génération en génération, I Am Not Your Negro se clos par une question fondamentale, une étiologie de la ségrégation, au travers du célèbre "Je ne suis pas un nègre, je suis un homme" ayant titré le documentaire :
The question you gotta ask yourself –the question the white population has to ask itself—is why was it necessary to have a Negro in the first place. Because I’m not a nigger, I’m a man. But if you think I’m a nigger, it means you need it. And you gotta find out why. The future of the country depends on that.
Le film se termine, donnant au spectateur tout le temps de digérer cette fulgurance de Baldwin. Pourquoi les blancs ont-ils besoin d'un nègre ? Après avoir grandi à New-York, l'auteur est parti en 1948 vivre et écrire à Paris : des années de quasi-exil où il s'est dit libéré de la terreur sociale qu'il avait connu chez lui. S'interroger sur la société américaine lui est alors d'autant plus facile qu'il a pu s'en extraire, la contempler sans faire partie de sa propre analyse. La construction des États-Unis n'est-elle finalement rien d'autre qu'une succession d'oppressions, sur les tribus natives, sur les noirs, et peut être dans une certaine mesure, sur le reste du monde ?
Créée
le 6 mai 2018
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