"Les couteaux, les putes, les horloges."
Sono Sion lit un poème. Sono Sion hurle. Sono Sion parle à une fillette quelconque. Il a la voix pitchée. Ce n'est pas très beau. Il hurle. C'est insupportable. Ils courent et ils hurlent. Le pitch disparaît, réapparait, va voir du côté des graves, revient vers les aigus... Le sens de tout ceci ?
Sion est un personnage étrange, c'est une évidence. Il s'agit d'un film expérimental, deuxième évidence. Il s'agit du premier film de Sono Sion, et il s'amuse à tordre le médium. Il le pousse à son point limite. "I Am Sono Sion!!" n'a pas de contenu à proprement parlé, il s'agit avant tout d'un travail sur la forme. Une forme déplaisante. Repoussante. La position de spectateur n'est pas franchement confortable, comme si on assistait à un délire très personnel qui ne nous était pas destiné, auquel on avait pas forcément à avoir accès. Les scènes s'étirent, se répètent, s'étirent, se répètent...
Et pourtant on est là, planté devant l'écran, à regarder Sion qui hurle comme un hystérique. Pourquoi hurle-t-il ? On ne sait pas. Comme ça. C'est son genre. Pourquoi le regarder alors ? Pareil, aucune idée. Pas juste par curiosité ; il y a quelque chose de l'ordre de la fascination qui s'opère ici. Parce que Sion est un personnage fascinant, qui intrigue, qui interpelle, il opère dans les marges et son film ne ressemble à rien d'autre qu'à lui-même.
Mais quel est le but de tout ceci ? Voilà bien le point qui rend perplexe, tout ceci ne semble pas en avoir, le film semble se contenter d'exister, d'être là. Sion fout toutes ses idées en vrac et regarde le résultat. Il y a des longueurs. Il y a des fulgurances. Il y a surtout un énorme tas d'images et de son, un tas monstrueux, difforme. Un tas qui ne semble pas avoir de raison d'exister mais qui est là, tout de même, devant nos yeux.
Quand on connait les œuvres futures du réalisateur, tout ceci est moins incompréhensible. On est déjà familier du côté hystérique, on sait qu'il a tendance à étirer ses scènes au-delà du raisonnable... Malgré tout, "I Am Sono Sion!!" interpelle. On retrouve son style, mais sous sa forme la plus brute, la plus dépouillée, et, quelque part, la plus déplaisante. Ce n'est pas un film qu'on aime, c'est un film qui fascine, nuance.
Il annonce quelque part la future carrière de Sion, qui n'a pas pour habitude de ménager le spectateur, et qui pousse souvent ses idées jusqu'à leur point le plus critique. Mais son œuvre la plus radicale, elle est là, c'est celle-ci, c'est inconfortable, ça place le spectateur le cul entre deux chaises, mais Sion y fonce, prend ses idées à bras le corps et les propose, sans calcul, sans arrière pensée, si ça t'intéresse, prends, sinon... tant pis.
J'ai une troisième évidence à formuler : pour découvrir Sion, mieux vaut ne pas commencer par là. Mais c'est un film qui mérite d'être vu si on s'intéresse au bonhomme.