I Comete

Un premier film radical, dense et ambitieux au point de s'étonner qu'il s'agit bien d'un premier film. Il faut néanmoins s'armer de patience. Le rythme est lent et le film n'est fait que de plans fixes. Surtout, le réalisateur décide de perdre le spectateur au milieu de ses nombreux personnages.
La première moitié du film est par conséquent exigeante. Les scènes de vie de ce village corse s'enchainent sans qu'on en comprenne les enjeux. Toutefois, le sens du cadrage, la photographie, la justesse de l'écriture et le décalage involontairement provoqué par les acteurs non-professionnels retiennent notre attention.
La deuxième moitié devient plus jouissive. Le film devient très ludique grâce à un procédé efficace : ne jamais mélanger ses personnages mais seulement en montrer 2 ou 3 ensemble par scène, sur le même plan ou non. Il invite le spectateur à reconstituer l'organigramme et la généalogie du village de cette façon. A la manière de dominos, on s'amuse à partir d'un personnage pour remonter tout le fil des autres personnages et créer sa version de l'histoire du film. Le visionnage est ludique et vu la densité des personnages, il est fort probable que plusieurs versions puissent coexister après un premier visionnage.
La scène la plus emblématique de ce procédé est celle de l'adolescente téléphonant devant une maison, dans la nuit. Nous nous demandons dans un premier temps qui elle est car nous l'avons déjà aperçue auparavant. Puis nous essayons de comprendre ce qu'elle fait dehors en pleine nuit, à parler seule car nous ne voyons pas son téléphone ni n'entendons d'interlocuteur. Une fois qu'il est clair qu'elle discute au téléphone, nous essayons de nous souvenir avec qui nous l'avons vu précédemment pour savoir à qui elle pourrait parler et enfin nous essayons, une fois l'interlocuteur potentiellement identifié, de comprendre ce qu'il pourrait lui répondre grâce au peu que nous savons sur lui. Toute la deuxième moitié du film consiste à recoller les morceaux entre les personnages de cette façon, sans qu'ils se soucient de nous.
Plusieurs scènes sont par ailleurs très réussies et offrent beaucoup de fraîcheur par leur spontanéité et leur absurde, comme celle où une petite fille joue à la mafieuse corse sur la place du village ou celle d'une fuite interminable d'un voleur de fruits en plan large. D'autres marquent par leur sensibilité et leur virtuosité, notamment celles des chants corses et du morceau de piano.
Après une première moitié laborieuse mais intrigante et maîtrisée, le film révèle son originalité et sa densité dans une deuxième partie qui laisse la part belle à ses personnages et aux yeux et esprits aiguisés de ses spectateurs.