On a envie d’apprécier les films de Benoit Delépine et Gustave Kervern pour leur génie punk et DIY. Pourtant, il fallait bien que cela arrive, les deux compères de Groland ont littéralement métamorphosé leur cinéma pour le meilleur et surtout pour le pire.
Voir marcher Jean Dujardin en peignoir blanc et chaussons de bain en plein milieu d’une voie rapide est typiquement le genre de vision décalée qui font le sel du cinéma de Benoit Delépine et Gustave Kervern. Ce moment à la fois incongru et éminemment dense symboliquement a l’intérêt de poser le personnage de Jacques : un être imprévisible, loufoque mais qui semble au bord du précipice.
Depuis Aaltra, le duo grolandais nous en proposé des tonnes des personnages comme celui-ci. Ce qui le différencie des autres, et qui fait par la même occasion l’originalité de I Feel Good, est qu’il se situe – ou plutôt – souhaiterait se situer de l’autre côté de l’échiquier politique. Jacques se rêve en winner, en prototype populaire et déshumanisé de la start-up Nation de l’ère Macron. Sauf que Jacques est, comme il le reconnaît lui-même, un ancien cancre qui n’a pas d’idées si ce n’est celle de réussir et de créer sa fameuse start-up. Que ce soit en vendant des concepts fumeux inspirés à la va-vite par ce qui l’entoure ou en développant un véritable concept de tour operator autour de la chirurgie esthétique.
Puisque « c’est son projeeeet ! » et qu’il a une force de conviction impressionnante, il va profiter du petit réseau de sa soeur Monique et de la communauté Emmaüs pour enfin franchir le cap. Encore une fois, après Mammuth et Saint-Amour, Delépine et Kervern questionnent le poids du passé familial avec une forme de grâce et de subtilité toujours aussi précieuse.
Hélas, et ça nous coûte de le reconnaître, I Feel Good pioche dans ce qui faisait le sel de leur filmographie : la puissance de leur mise en scène faite de folie douce et d’amateurisme revendiqué. Il serait étrange de leur reprocher d’avoir fait un bon en avant quantique sur le plan technique et esthétique, pourtant là où leur cinéma gagne en maîtrise, il le perd en originalité en proposant un spectacle un peu trop cadré et apprêté. Surtout, si l’écriture est, elle-aussi, très riche et pour le moins ambitieuse, on ressent parfois de gros problèmes de rythme : le film s’appuyant un peu trop souvent sur une série de gags, répétitifs, parfois un peu trop étirés en longueur.
Film de circonstance tirant à boulet rouge sur la Macronie ambiante, I Feel Good dispose d’atouts majeurs comme son casting, mais réussit le tour de force d’être à la fois plus maîtrisé sur le plan esthétique et moins pertinent sur la forme. A vous de juger.