Pologne aujourd’hui. La jeune (17 ans) Ola (Zofia Stafiej) a un but : passer le permis de conduire, pour pouvoir s’acheter une voiture et gagner en liberté. Son père lui a promis de lui donner l’argent nécessaire. Le souci, c’est que rien ne se passe comme prévu. A sa troisième tentative à l’épreuve de conduite, Ola échoue une nouvelle fois. Quant à son père, cela fait bien longtemps qu’elle ne l’a pas vu, car il travaille en Irlande, du côté de Dublin. Ola vit avec sa mère et son frère, lourdement handicapé.
La situation évolue brusquement avec des nouvelles d’Irlande. Par téléphone, la famille apprend que le père d’Ola vient de subir un accident sur son lieu de travail : il a été heurté mortellement par un container. C’est la consternation et les difficultés pour rapatrier le corps apparaissent immédiatement. Étant donné qu’elle ne parle pas anglais, sa mère demande à Ola d’aller en Irlande pour s’en occuper. Ce ne sera pas une mince affaire pour cette jeune fille du genre écorchée vive qui comprend rapidement le peu de chances qu’il lui reste de récupérer l’argent que son père lui avait promis.
Avec ce film (titre original : Jak nadalej stad), le réalisateur Piotr Domalewski soutient largement la comparaison avec le cinéma des frères Dardenne ainsi qu’avec celui de Ken Loach, ce qui n’est pas rien. Bien entendu, il donne un aperçu de comment certains peuvent vivre actuellement en Pologne. Mais, l’action s’invitant rapidement en Irlande, on fait le lien avec la façon dont des travailleurs étrangers y vivent (et ou certains viennent y mourir…) Le père d’Ola, même si on ne le verra jamais lui-même, a travaillé et vécu dans des conditions précaires (en anonyme interchangeable), sans jamais trop se plaindre auprès de sa famille semble-t-il. Et s’il n’était probablement pas revenu en Pologne depuis un bout de temps, on comprend que c’était sans doute d’abord parce qu’il n’avait pas franchement les moyens de faire autrement. En effet, il vivait avec un petit groupe dans un logement exigu où le fait de côtoyer des compatriotes était un piètre avantage par rapport à l’inconvénient de la promiscuité et le manque de perspectives. On sent bien que ces polonais n’avaient que peu de distractions ou sorties. Pour le père d’Ola, cette situation était peut-être aussi due au fait qu’il devait mettre de l’argent de côté, selon sa promesse (sans doute faite à sa famille de manière générale et pas seulement à Ola).
Ola a rapidement compris que personne ne lui fera de cadeau. Ainsi, elle n’obtiendra aucune indemnité de la part de l’employeur de son père. Mais, obstinée, elle va trouver le moyen de passer suffisamment de temps à discuter avec ses compatriotes et sans doute aussi se montrer convaincante dans sa volonté d’en savoir plus sur ce père dont elle connaissait si peu. Une des belles réussites du cinéaste dans ce film est de nous donner à imaginer la personnalité du père d’Ola par l’ensemble des témoignages que la jeune fille réussit à recueillir au fil de ses rencontres. On comprend ainsi avec Ola que son père avait l’espoir d’une nouvelle vie plus épanouissante. Espoir sans doute un peu maladroit, mais pour lequel certains signes montrent qu’il cherchait malgré tout à se donner les moyens de croire que tout restait possible. Et, même si pour Ola, l’espoir de son père pouvait signifier la perte de l’espoir qui la motivait elle, la jeune fille acquiert quelques certitudes étonnantes sur la personnalité profonde son père. En habituée des situations de galère, elle apprend rétrospectivement à aimer davantage ce père disparu, même si elle comprend finalement qu’elle aurait pu le perdre d’une toute autre manière. De ce point de vue, son geste final avant de repartir en Pologne est très émouvant.
Le réalisateur se montre à l’aise aussi bien en Pologne qu’en Irlande, pour décrire les dérives de personnes en manque de repères stables. Il anime ses personnages d’une force peu commune qui transparaît bien à l’écran (on peut imaginer que celle d’Ola soit le véritable héritage transmis par son père). Le réalisateur sait également remplir son film de détails qui donnent de la consistance à ses personnages et aux situations qu’il leur fait vivre. Je pense par exemple à l’usage de son téléphone portable par Ola : sa sonnerie très orientée qui ne peut que lui nuire dans certaines situations mais qu’elle ne songe jamais à changer, mais aussi sa façon de chercher à entrer en contact avec des garçons et bien entendu ses relations avec sa mère quand elle se débat avec les formalités administratives en Irlande. Et puis, le réalisateur fait d’Ola une fille débrouillarde qui n’a pas froid aux yeux, aussi capable de profiter des circonstances pour chaparder un document qui pourrait se révéler utile que de s’intégrer inopinément à un groupe de fêtards en goguette. Assez dure (limite agressive parfois), parce que son expérience de la vie est ainsi, elle se montre malgré tout capable de sensibilité pour s’intéresser aux autres et en particulier aux membres de sa famille. Autant dire que Zofia Stafiej qui l’interprète est une véritable révélation, bien mise en valeur par le réalisateur qui la suit tout en faisant sentir les difficiles conditions d’existence de ses personnages (voir les couleurs bien ternes dans l’ensemble).
Film vu le 8 novembre 2021 au festival Kinopolska au cinéma ABC de Toulouse