Les voies d'Ida sont impénétrables
Format carré, cadré, décadré, très décadré, noir, blanc, gris, nuances de gris, graphique et bédéesque, l'esthétique d'Ida prend toute la place, ou presque. Si le projet est aussi ambitieux dans le fond que dans la forme, le résultat s'avère particulièrement déséquilibré.
On est en Pologne en 1962. Le pays sort du stalinisme, s'ouvre à la musique occidentale, et panse ses plaies sans pouvoir se défaire de ce qui le gangrène : le catholicisme et l'antisémitisme. Avant de prononcer ses vœux, Ida, jeune novice malgré elle, va retrouver sa tante, procureur en disgrâce, revenant avec elle sur le passé de leur famille.
Ida est une reconstitution historique. Les faits, les décors, les costumes d'une part, la signature formelle du cinéma des années 60 d'autre part. Et c'est probablement là que le bât blesse. On se retrouve finalement avec un vieux film neuf, un peu comme les copies d'anciens des marchands de meubles discount. C'est là toute la différence entre singer un style et s'en imprégner, la différence majeure qui existe entre le film de Pawel Pawlikowski et A single man, par exemple. Alors que Tom Ford a su reprendre à son compte la modernité de l'époque dans laquelle il ancre son récit, le cinéaste polonais ne réussit qu'à réaliser un film "à la manière de" [Polanski ou Skolimowski au choix].
En restant totalement à l'extérieur d'Ida, qui reste énigmatique jusqu'au bout, le film bloque toute empathie. Aussi, même lorsqu'il met en place des scènes à haute valeur émotionnelle, on n'éprouve rien. On suit donc Ida avec un ennui poli, l'œil agréablement stimulé, souvent, par quelque joli plan, même si l'on s'agace vite de cette manière de placer les corps en bas de cadre. À trop en faire, le film n'évite pas le maniérisme.
Pour enfoncer le clou, on regrettera une fin incompréhensible, pas assez mystérieuse pour nous troubler, pas assez lisible pour nous éclairer. Si les voies de Dieu sont impénétrables, celles d'Ida le sont aussi.