Nous sommes au début des années 60 (le film date de 1963), et Vittorio De Sica qui a acquis une belle notoriété dans le courant néo-réaliste (Le voleur de bicyclette - 1948), s’attaque à sa manière à la comédie à l’italienne. Pour ce faire, il engage Alberto Sordi, l’un de ses fleurons, pour incarner Giovanni Alberti, un homme qui a accédé à un statut social enviable grâce à la fortune venant de sa femme (son beau-père est officier). Il a joué les investisseurs, grisé par le boom économique de l’époque. Un boom symbolisé par les enseignes lumineuses qu’on voit au début, la première partie étant filmée dans un quartier neuf où l’espace est prévu pour une croissance qui lui donne à rêver. Giovanni a voulu voir loin, en prenant une option sur un terrain situé à l’extérieur de Rome. Avec un accès correct, ce terrain pourrait voir sa valeur grimper en flèche. Sans qu’on sache vraiment à quoi il s’est engagé, on comprend que Giovanni cherche au moins à gagner du temps auprès de ses créanciers. Il passe ainsi le plus clair de ses journées à quémander une aide financière à droite à gauche, ce qui n’intéresse personne. Le reste du temps, Giovanni le passe auprès de sa femme Silvia (Gianna Maria Canale) et, pour qu’elle ne s’inquiète pas, à fréquenter en sa compagnie le beau monde de la bonne société romaine. On voit ainsi Giovanni faire le pitre dans les tribunes d’un hippodrome, sur un terrain de tennis et à une soirée qui se finit en dansant le twist (ce qui permet au passage de profiter d’une musique de qualité). Dans ce registre, Alberto Sordi est très à l’aise, pour le plus grand plaisir du spectateur. Je pense notamment à la partie de tennis, à cause de la technique rudimentaire des joueurs et d’un jeu de jambes qui ne sert pas qu’à se placer par rapport aux trajectoires de la balle.


A force d’évoluer dans ce milieu bourgeois, Giovanni attire l’attention de la signora Bausetti, épouse d’un entrepreneur. Comprenant que Giovanni a désespérément besoin d’argent, elle le considère comme la cible idéale d’un marché totalement inattendu :


Une forte somme contre un œil ! Pourquoi cela ? Parce que son mari, le signor Bausetti en a perdu un, suite à un accident sur un chantier.


Bien évidemment, à partir de là, la comédie devient grinçante. Si dans un premier temps, Giovanni refuse le marché, il finit par comprendre qu’il n’a pas le choix. Il commence à voir la vie d’un autre œil…


Le plus intéressant dans ce film tient à mon avis dans le rapport qu’entretient Giovanni avec les femmes. Sans le faire allonger sur un divan, puisqu’on ne sait rien de sa mère ni d’éventuelles sœurs, on remarque ses relations avec Silvia et la signora Bausetti. Avec Silvia, il s’imaginait peut-être vivre une belle histoire d’amour et s’il faisait le pitre, il considérait sans doute que cela faisait partie intégrante de son charme naturel. Il se retrouve à demander à son épouse si elle l’aimerait toujours avec un bras en moins. Évidemment, comme elle ne voit pas où il veut en venir, elle n’accorde qu’un intérêt distrait à la question. Tant qu’elle peut profiter du train de vie bourgeois qu’elle considère plus ou moins comme un dû, tout va bien. Par contre, gare à sa réaction si jamais elle apprenait les petites combines de Giovanni !


Autre femme, autre rapport, avec la signora Bausetti (interprétée par Elena Nicolai, cantatrice d’origine bulgare). Une femme dont on sent immédiatement qu’elle en impose. Si son mari se débrouille très bien en affaires, c’est elle qui tient la baraque comme on dit. C’est elle qui repère Giovanni, qui traite avec lui et c’est encore elle qui organise les événements une fois le marché conclu, y compris lorsque Giovanni cherche une échappatoire. Parce que bien entendu, s’il a un besoin vital d’argent pour maintenir sa situation, Giovanni tient à son intégrité physique. Autant dire que, lorsque la signora Bausetti lui propose un rendez-vous au domicile conjugal, on imagine d’abord qu’il pourrait s’agir d’un rendez-vous galant. Quoi qu’il en soit, une fois Giovanni harponné, il peut toujours se débattre...


Cette comédie grinçante (scénario signé Cesare Zavattini), montre donc une satire du miracle économique italien. Probable raison pour laquelle le film (produit par Dino de Laurentiis) n’a pas trouvé de distributeur pour la France en 1963. La sortie récente dans une copie de qualité (noir et blanc au format 16/9) permet d’en profiter avec un recul salutaire, tout en considérant que le marché conclu par Giovanni à son corps défendant, ne pourrait plus être traité avec autant de légèreté. Les pitreries d’Alberto Sordi ne sont ici qu’une façade pour tenter de faire passer ses petits trafics, pendant que De Sica et Zavattini détaillent les mentalités humaines. Jusqu’où peuvent s’abaisser certains pour obtenir une part de ce qu’ils estiment un beau gâteau ? On remarque d’ailleurs que le quartier tout neuf où les hommes d’affaires aux dents longues viennent s’agglutiner au début, parait bien désert une fois Giovanni pris au piège.

Electron
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le 11 nov. 2016

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