Tout commence comme une farce : Adolf Hitler se réveille en plein Berlin en 2014. Il n’a pas vieilli, il semble avoir traversé le temps depuis son bunker assiégé en 1945. Tout comme le livre de Timur Vermes dont il est adapté, David Wnendt aurait pu faire le choix de la comédie pure – un Les Visiteurs version nazie, c’est une idée comme une autre. C’est en tout cas ce que le film tire de son high concept pendant son premier acte : un Führer pathétique, errant dans un monde dont il ne comprend rien, découvrant le destin mouvementé de sa Grande Allemagne. Cela donne lieu à des situations hilarantes, qui rappellent Borat dans leur construction en miroir culturel.


Puis quelque chose advient. Après une petite demi-heure, Il est de retour tourne à la satire. On passe alors des Monty Python à Voltaire – Wnendt n’abandonne pas son ton loufoque et son humour tranchant, mais il le saupoudre d’une allégorie politique intelligente, terrifiante et fascinante. L’autre grande idée de Il est revenu, c’est d’avoir tracé une ligne aussi floue entre réalité et fiction : la dramaturgie se verra entrecoupée de séquences où l’acteur principal, interprété par Oliver Masucci, interagit avec de véritables allemands croisés dans la rue. Une caméra cachée comme moteur à la fois romanesque – ces scénettes s’inscrivent parfaitement dans la dramaturgie –, mais aussi idéologique – les réactions étant bien souvent déconcertantes.
Le « il » du titre n’est pas tant Hitler que la désignation du populisme. Ce que le film tente de démontrer (certains diront qu’il enfonce des portes ouvertes), c’est que le renouveau nationaliste européen moderne n’est qu’un ersatz, façonné d’illusions, des mouvances dictatoriales des années 30. Les protagonistes changent, mais les mots restent les mêmes : pour Wnendt, Hitler n’est qu’une incarnation comme une autre du mal et de la haine qui existe en chaque citoyen. Au-delà du clown, il y a donc un concept radical, à travers une remise en question complète du principe de démocratie et donc du fantasme de la raison du peuple.
Le message que construit le film n’est pas des plus évidents, et contrairement à ce qu’on pourrait en penser au premier abord, il n’est pas consensuel – il est tout simplement politique, lui aussi, et sujet au débat. Plutôt que de tomber dans le pamphlet à charge contre l’extrême-droite, Il est revenu trace des pistes, et invite à l’argumentaire – prenant son temps pour décrypter avec finesse le discours populiste et l’inefficacité « républicaine ». Selon les points de vue, ce sera là sa sagesse ou sa faiblesse : critiquer sans résoudre, terroriser sans réconforter. Sorte d’exutoire ultime des remords modernes d’Outre-Rhin, la portée est cependant bien plus large, questionnant finalement l’universalité du discours fasciste, présent en chacun, ne se stimulant qu’une fois par siècle.


Il est donc malheureux d’observer Il est de retour se perdre dans des sous-intrigues soapesques aussi vaines qu’insipides, mais ce n’est pas une excuse valable pour éviter son visionnage : si l’on oublie ses personnages secondaires superficiels, le film de Wnendt est d’une intelligence remarquable. L’écriture est troublante, admirable, aux degrés de lecture variés, rendant le résultat final aussi singulier qu’ambiguë. Il y aurait beaucoup à dire, d’autant plus que des films affrontant de manière aussi frontale des sujets d’actualité aussi brûlants sont rares. En ressort un conte sociétal hilarant, redoutable, inégal et unique, qui pose la question que trop peu osent poser : mais qui est donc le véritable monstre ? Parce qu’il est de retour.

Vivienn
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le 8 mai 2016

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