Un monument du cinéma qui ne fera pas que des heureux
Film de perfectionniste acharné, à la fois fruit des songes de son auteur et adaption du roman éponyme des frères Strougatski, il a fallu plus de quatorze ans pour achever ce chef d'oeuvre de science fiction de près de trois heures, dont le montage (uniquement, comme a tenu à le préciser sa compagne et co-scénariste Svetlana Karmalita avant la projection) a été achevé par Karmalita et le fils du réalisateur après la mort de ce dernier.
On ne va pas s'en cacher, Il est difficile d'être un dieu ne plaira pas à tout le monde, certains spectateurs ont d'ailleurs quitté la salle en cours de film (dommage, une oeuvre de cette envergure s’endure jusqu’au bout), Il est difficile d'être un dieu ne divertira ou ne fera rêver aucun spectateur.
Témoin contemplatif d'un nouveau monde moyenâgeux, c'est un éprouvant spectacle presque physique que s'impose le spectateur porté dans une reflexion sociale et métaphysique pour le moins marginale avec pour coeur le rôle des chercheurs envoyés sur cette planète, notamment de Rumata à qui les locaux prêtent des facultés divines, dans les affaires politiques et sociales de ce nouveau monde.
Une reflexion également artistique, Alexei Guerman livre une perle d’esthétisme. Les sons, gestes, objets, personnes s’accumulent anarchiquement. La bande son est travaillée dans les moindres détails, aucune musique autre que celle de la vie quotidienne, une particularité qui offre un rythme unique au film empreint d’un chaos assourdissant. Les plans-séquences sont d’un désordre presque étouffant, utilisant le ‘regard-caméra’ dans un style presque documentaire, les personnages dévisagent la caméra, interfèrent, continuent leur vie, rien n'est figé, le spectateur devient témoin d’une véritable chorégraphie humaine. A noter que les acteurs sont foudroyants, Leonid Yarmolnik est littéralement un dieu du cinéma et chaque figurant effectue un travail d'une précision et d'une démence remarquables.
On ne se privera pas non plus de mentionner qu'il y a du sang (beaucoup), des crachats (encore plus), du nu (et on ne fait pas dans le sexy), des excréments, de la cruauté, de la laideur, des entrailles et un amont de boue impressionnant, une boue qui se mêle à tout, élément liant et omniprésent du film.
Certains spectateurs vont donc adorer le voyage, d'autres detester, une chose est certaine, Il est difficile d'être un dieu ne ressemble à rien, ne se termine pas vraiment, ne respecte aucun code mais constitue une oeuvre d’une précision et d’une exigence hors normes qui en fait à mes yeux un véritable monument du cinéma.