Découverte du cinéaste Nuri Bilge Ceylan avec "Il était une fois en Anatolie", une véritable expérience de cinéma, un film qui par son apparence interminable se défend par la maîtrise indéniable du réalisateur.
On est plongé de nuit dans un décor sans véritable repère, un cortège de police assisté d'un médecin légiste et du procureur conduit deux suspects sur le lieu exact de leur crime dans l'espoir de retrouver le corps. Mais la situation devient confuse, les personnages tournent en rond face à l'uniformité du paysage, se révèlent, se lient, s'affrontent durant ce long voyage dont il faudra attendre les premières lueurs du jour pour y trouver des révélations.
Un long métrage dépaysant, Ceylan nous immerge littéralement dans les steppes de l'Anatolie à coup de longs plans séquences contemplatifs reflétant la morosité de la situation, il maîtrise parfaitement son sujet, la mise en scène ultra réaliste se veut au plus près de des protagonistes, avec un sens de l'esthétisme brillant et des scènes quasi mystiques grâce à ce perfectionnisme plastique de l'image, la séquence de la lanterne de la fille du maire illustre parfaitement ce sentiment.
Les dialogues dégagent une grande sincérité teintée parfois de cynisme et d'humour pinçant, les personnages révèlent leur complexité, on ressent presque leur froideur, ils restent figés dans le temps et l'espace, et plus le film avance moins nous savons où nous allons, l'immersion est telle que le degré narratif prend toujours par surprise avec pas grand chose, c'est presque un exploit.
Une fois le jour levé le film prend un autre tournant, plus banal et méthodique, comme dans un autre monde (rappelant un peu le traitement de New York par Scorsese dans "Taxi Driver", toutes proportions gardées évidemment), la mélancolie du médecin en devient émouvante, les protagonistes sont transfigurés, toujours avec cette morosité ambiante tout à fait palpable des mécanismes de la vie, la simplicité étudiée de la mise en scène de Ceylan ne gâche en rien les longueurs "monstrueuses" de son long métrage, mais le spectateur se doit d'adhérer totalement à son art au risque de se noyer face à cette lenteur apparente.
"Il était une fois en Anatolie" est un film avant tout contemplatif et immersif où le réalisateur partage sa vision de la condition humaine sous un angle ultra réaliste et froid, avec des moments de bravoure ainsi qu'un traitement de l'image et une direction frôlant la perfection. A conseiller uniquement pour les cinéphiles aventureux.