« La révolution est un acte de violence »
Tout auréolé du succès de la trilogie du dollar et de Il était une fois dans l’Ouest durant les années 1960, le temps est venu pour Sergio Leone de réaliser ce qui sera son dernier western : il était une fois la révolution. Pour une fois, le titre français est d’ailleurs la fidèle traduction de celui qu’avait choisi le réalisateur avant que les producteurs ne s’en mêlent, je garderai donc ce titre plutôt que l’original. Cette péripétie de production n’est d’ailleurs pas la seule, Leone devant produire et non réaliser le film initialement, mais il avait une vision si particulière et son nom en tant que réalisateur s’était tellement imposée comme gage de succès qu’il rempilera à ce poste, pour mon plus grand bonheur car vous le comprendrez très vite, il s’agit d’un de mes films préférés.
SCENARIO / NARRATION : ★★★★★★★★★★
Le récit prend place dans le contexte très particulier de la révolution mexicaine des années 1910, plus précisément en 1913. Pour rappel, après des décennies de dictature ayant fait exploser les inégalités sociales, provoquer des famines, réprimer violemment toute opposition… une révolution a éclaté au Mexique mais pour ne parvenir qu’à une nouvelle dictature et à une nouvelle révolution, celle du film, toujours plus violente et qui elle-même ne mènera qu’à un nouveau conflit entre les révolutionnaires en parallèle de la première guerre mondiale, les années 1910 ce n’était vraiment pas une période tranquille pour l’humanité. Le bilan est de 2 millions de victimes avant une longue période de misère et de chaos pour le nouveau régime en place et les avancées sociales qui pourront en résulter.
Si j’apprécie que cet épisode peu connu de l’histoire soit abordé dans un cinéma à si gros budget, c’est surtout son traitement qui va me laisser béat d’admiration. Le film commence par montrer le mépris infini d’une classe de privilégiés envers la paysannerie mexicaine et plus généralement envers le prolétariat et les minorités ethniques avec la complicité des américains et de l’Église, tout en rappelant les grandes lignes du contexte historique. Cela justifie d’emblée les envies de révolutions des uns, alors que l’échec de la première motive les autres à simplement tirer leur épingle du jeu dans tout ce foutoir, désabusé par les échecs passés et les sacrifices apparemment inutiles.
La critique la plus juste et la plus amère que l'on puisse faire de la révolution en émerge, aussi légitimes puissent entre être les intentions, aussi braves puissent en être les acteurs, aussi réels puissent en être les espoirs, et tout ça ressort un moment ou à un autre du film, c’est un acte de violence qui s’accompagne de tragédies humaines qui trop souvent n’aboutissent pas aux rêves des petits, ni aux promesses des grands. Pour moi, le titre Il était une fois la révolution est parfait, assurant certes une forme de continuité avec Il était une fois dans l’Ouest mais surtout traduisant un message politique réel, fort et complet sur la révolution, celle-ci comme n’importe quelle autre.
Malgré toute la gravité du sujet, Leone opte pourtant pour un traitement comique pour le moins audacieux alors que c’est probablement son film le plus sombre jusqu’ici. L’exercice est plus que périlleux mais il fut mené de main de maître pour moi avec un sens de l’ironie dramatique absolument superbe, ces scènes ne se neutralisant pas mutuellement mais ne cessant de prendre à contre-pied le spectateur qui passe par une bonne partie des émotions fortes possibles au cinéma, à commencer par le rire et les larmes. Leone n’hésitera pas à citer comme source d’inspiration Charlie Chaplin, qui avant lui avait su s’y atteler avec une maestria historique pour les Temps Modernes et surtout le Dictateur, également parmi mes films préférés.
On peut aussi voir en ce choix de période historique et ce qu’il en fait la volonté d’en finir avec le genre du western pour le réalisateur, les grands codes du genre étant systématiquement détournés pour montrer à quel point ce monde est fini. La fameuse banque en est le meilleur exemple, là où elle aurait pu être l’élément central de tout un western plus traditionnel, elle est ici désenchantée pour finalement s’avérer être une péripétie qui doit amener le duo de personnages vers la réelle destination du film, un film d’aventure et de guerre. C’est un discours sujet à interprétation mais qui me semble très plausible.
Le duo Rod Steiger / James Coburn fonctionne superbement bien pour cette improbable association d’un bandit mexicain et d’un révolutionnaire irlandais, avec le calme du premier face à l’extravagance du second lors de leur rencontre, l’un et l’autre alternant sans arrêt entre des postures dramatiques et des postures comiques en s’autorisant un surjeu occasionnel surprenant et marquant (ce sourire à pleines dents de James Coburn, ce pétage de plomb de Rob Steiger...), laissant transparaître à l’écran une complicité parmi les plus convaincantes d’amitié masculine… et tout cela n’est qu’une partie de la réussite du film.
RÉALISATION / ESTHÉTISME : ★★★★★★★★★☆
Leone n’a plus rien à prouver quant à ses talents de metteur en scène après ses deux précédents films universellement reconnus comme références intemporelles du genre et encore une fois la mise en scène est incroyable. De longs plan-séquence parfaitement orchestrés de bout en bout, un montage d’une justesse impeccable entre les scène du présent et les flashbacks qui se répondent superbement, une utilisation de la vue subjective pour un réel sentiment d’immersion, d’immenses mouvements de foules sur un seul plan pour les exécutions de masse et les batailles… La mise en scène de il était une fois la révolution est à la hauteur des meilleurs films du réalisateur et de son époque.
Si l’on analyse en détails la scène emblématique du pont de San Jorge, on a la mise en place progressive d'une tension très soutenue, amorçant ainsi avec brio un gag prenant totalement à contre-pied le spectateur pour le faire immanquablement sourire avant de lui offrir un spectacle des plus impressionnants pour finir par la gigantesque explosion du pont, pour un instant de photographie mémorable. Cet ambitieux mélange de dépaysement, de divertissement et de grand spectacle se retrouve à bien des occasions du long-métrage avec beaucoup d’idées originales.
Parmi celles-ci, il est à noter que la réalisation s’essaie également à des très gros plans sur les yeux, les lèvres… même sur les parties intimes, parmi bien des plans absurdes pour un ton comique souvent très décomplexé sur lequel j’ai déjà pu dire tout le bien que j’en pense. Sur la forme, je trouve que si ça a le mérite de constamment surprendre le spectateur, même fin connaisseur de l’œuvre du cinéaste qui n’utilisait pas autant cette technique en ce sens, ça manque de subtilité et ce n’est pas nécessairement à mon goût, c’est l’un des rares reproches que je ferais au film durant toute cette critique.
Les décors andalous, récurrents pour Leone, siéent parfaitement à la tâche de dépeindre le désert mexicain, sans surprise. Je noterais tout de même que pour intensifier la puissance évocatrice des scènes de massacre, le décor de fosses s’inspire de massacres antisémites commis par les nazis lors de la seconde guerre mondiale, anachroniques donc mais je ne vois pas du tout ça comme un défaut. Ça me paraît être un moyen assez efficace d’appuyer par l’image le message s’étendant aux sombres périodes fascistes qui vont suivre, et c’est assez proche de la réalité historique pour ne pas crier à une trop grande liberté d’adaptation.
Dans le même état d’esprit, les plus tatillons d’entre nous remarqueront que l’armement allemand montré dans le film n’est pas tout à fait authentique, ressemblant à celui de la seconde beaucoup plus que de la première guerre mondiale, soit avec 30 ans d’écart, sans doute pour continuer de puiser dans l’imaginaire collectif autour de cette si funeste période, plus filmée et plus répandue, pas un problème pour moi. Et évidemment, les costumes sont aussi très réussis mais on commence à en avoir l’habitude pour les productions de Leone donc je ne vais pas m’y attarder.
A l’image de la réalisation, l’OST est de la qualité extra-ordinaire qui ne surprendra plus personne mais qui surprendra tout de même par ses choix décalés, avec ses curieuses voix soulignant parfaitement les touches d’humour, ses instruments ridiculisant le rythme d’une marche militaire… Les envolées lyriques très régulières réussissent aussi bien à appuyer les scène d’insouciance que les plus dramatiques ou mélancoliques, ce que je trouve assez rare. La mélodie principale qui se retrouvent un peu partout sous différentes formes, jusqu’à un sifflement intra-diégétique, parvient quant à elle à donner une identité sonore au film très marquée.
CONCLUSION : ★★★★★★★★★☆
Il était une fois la révolution est une claque monumentale pour moi sur tous les plans, au sens propre comme au figuré, reprenant les grandes qualités cinématographiques désormais bien établies du réalisateur avec cette fois-ci une audace visuelle plus décomplexée au service d’un récit véritable fresque historique oscillant entre le grand spectacle de batailles dantesques, l’émotion forte dans un contexte dramatique impitoyable et le divertissement hilarant avec un ton humoristique surprenant et parfaitement dosé. L’adieu de Leone au western et pour plus de 10 ans à la réalisation est son œuvre qui m’a le plus touché même si je comprends très bien que ses partis pris n’en fassent pas l’œuvre qui fasse le plus consensus de sa filmographie.