Quoi de mieux que l’Histoire comme berceau d’une myriade de petites autres ? Les films de guerre basés sur des faits historiques sont ainsi légion, le cinéma continuant d’explorer de manière endiablée les heures les plus sombres de l’humanité. L’empreinte conséquente de la Seconde Guerre Mondiale est notamment une source inépuisable de traitements en tous genres, mais certains tirent leur épingle du jeu : parmi ceux-ci, le spectaculaire Saving Private Ryan de l’indéboulonnable Spielberg aura marqué plus d’un spectateur, et ce au détour d’une petite histoire dans la grande.
S’inspirant librement du cas (véridique) des frangins Niland, ce film multi-récompensé puise une grande partie de sa reconnaissance dans son réalisme extrême : véritable pierre angulaire d’une immersion des plus totales, sa vision du débarquement (6 juin 1944) déroule pendant plus de vingt minutes ce qui s’apparente (encore aujourd’hui) à l’une des meilleures séquences de bataille de tous les temps. Au gré de moyens techniques et matériels sans limites, d’une pyrotechnie et d’effets visuels impressionnants, mais aussi d’un jeu de caméra à l’épaule judicieux, Saving Private Ryan prend donc d’entrée à la gorge, la crédibilité de son cadre tumultueux annonçant de « réjouissantes » hostilités.
Retranscription implacable de l’horreur d’antan, le théâtre d’Omaha Beach se pose ainsi comme la tête de file d’une signature formelle irréprochable, conjuguée qui plus est à un respect des faits efficace : cette notion d’efficience renvoie à la capacité qu’a le long-métrage à maintenir d’une illusion de tous les instants, quand bien même celui-ci serait parsemé de détails se jouant de l’Histoire. Ces derniers échappant de toute façon à l’œil non-expert du spectateur lambda (tel que moi), difficile dans ces conditions d’attenter à la réussite patente d’une telle production, à bien des égards soucieuse de faire les choses correctement.
Par ailleurs, outre une photographie superbe et une BO épique, Saving Private Ryan se paye le luxe de prendre son temps : frisant les trois heures de pellicule, nul ennui ne saurait pourtant venir troubler cette quête ardue menée par Miller et ses hommes, fort d’un rythme épousant parfaitement les péripéties variées d’une trame captivante. De prime abord, la toile de fond historique forçait de toute manière l’intérêt, mais il convient de souligner la portée indéniable du cœur de son intrigue, le contexte d’un tel sauvetage s’accaparant aisément notre attention ; toutefois, son caractère « impératif » soulève des pistes de réflexions allant par-delà le récit purement guerrier (lui qui régale de bout en bout la rétine).
Assurément, la question se pose quant aux fondements d’un bilan humain meurtrier, où plusieurs âmes succomberont pour le salut d’une seule. Suivant sans rechigner les ordres d’un état-major désireux de sauver la face, Miller effleurera de fil en aiguille l’acceptation (ou non) de pareille démarche, à grand renfort de dissension au sein d’un groupe hétéroclite ; on pourra regretter que cela tienne d’un simple survol dans sa finalité, le film égrainant ci et là des éléments de réponse, mais sans jamais vraiment se mouiller, privilégiant en ce sens un équilibre (réussi) entre cette thématique morale et les conditions exceptionnelles (Seconde Guerre Mondiale) entourant son application.
À l’image de son casting luxueux (Tom Hanks est saisissant), Saving Private Ryan aura en tout cas parfaitement cerné son sujet tant nous ne saurions le réduire à un simple divertissement sensationnel : en dressant le portraits d’hommes ordinaires voués à un destin dépassant l’entendement du quotidien, le long-métrage porte un regard sans concession sur les arcanes sanglantes de notre passé, son réalisme cru ne visant qu’à servir au mieux la représentation d’une démesure insensée... de quoi verrouiller l’empathie du spectateur pour ces pauvres hères.