Cette critique est en deux parties. La première fut écrite il y a presque trois ans et postée sur AlloCiné. La seconde est écrite à l'instant, et consiste en une analyse de la fin du film.
Critique du film proprement dite
Vous êtes sur qu'il faut sauver le soldat Ryan ? Je ne pense pas qu'il faille le sauver car il n'est pas en danger: il est génial. C'est un chef d’œuvre du film de guerre, et un film d'une rare violence et d'une grande force. Il raconte l'histoire d'un peloton de soldats américains en Normandie quelque temps après le débarquement des alliés en 1944, à la recherche d'un parachutiste, qui a perdu ses frères au combat, et qui, à cause de cela, a gagné le droit de rentrer chez lui; ils vont donc devoir aller en plein dans les lignes ennemies pour pouvoir le retrouver.
Ce film, un des meilleurs films de guerre qui soient, commence par l'une des scènes de bataille les plus sanglantes, épiques, grandioses, et mieux faites de toute l'histoire du cinéma : le débarquement à Omaha Beach. Le carnage y est représentée d'une façon hyper-réaliste, avec des moments d'une rare intensité, et la fascination doublée d'une horreur face à cette claque guerrière, qui fut saluée comme extrêmement proche de la réalité par des vétérans du fameux débarquement, et qui est (anecdote) la scène cinématographique préférée de Michael Bay.
On pourrait penser que le niveau du film descendrait après cette scène que j'ose qualifier de mythique, mais non ! Car la quête du soldat Ryan nous donne l'occasion de voir des personnages en conflit avec eux-mêmes et le reste de l'équipe et qui se posent de plus en plus la question de savoir si ce qu'ils font est bien ou non, si la vie d'un seul homme vaut la peine d'en sacrifier huit.
Et ces personnages, s'ils ne sont pas tous mémorables, sont attachants. On retiendra particulièrement le Capitaine Miller, joué par Tom Hanks, le soldat Jackson, joué par Barry Pepper et dont on retiendra surtout le fait que ce sniper du groupe tire en disant des psaumes, le soldat Uphan, incarné par Jeremy Davis, cartographe et interprète du groupe, dont l'évolution à travers le film est passionnante, et surtout, le soldat Ryan, interprété par Matt Damon, et qui, bien qu'on ne le voit pas beaucoup, vole presque la vedette aux premiers personnages !
Et en ce qui concerne l'action (si on peut parler d'action pour un film de guerre), le film en est rempli, jusqu'à la bataille finale dans un village français, où le groupe affronte un bataillon allemand armé de chars et de bazookas (je dois même avouer que je préfère cet assaut final au débarquement du début du film). Et bien sur, les plans sont magnifiques, les paysages somptueux, et la fin du film, que je ne spolierai pas est sublime et émouvante.
En bref, un chef d’œuvre du film de guerre, comme je l'ai déjà dit (je devrais faire attention à ne pas trop me répéter) et une énième réussite pour le grand, l'immense, le génial Steven Spielberg !
Analyse de la fin du film (Attention aux Spoilers)
Je le précise tout de suite: cette théorie n'est pas la mienne. Je vous invite donc à cliquer sur ce lien, qui est la source de cette deuxième partie.
« Mérite cela... mérite-le... » dit Miller à James Ryan avant de trépasser. Et Ryan est sauvé, il se rends sur la tombe du capitaine quelques décennies plus tard, et lui demande s'il fut un type bien. Sa femme le lui assure. Happy end, vive les États-Unis, God bless America, tout le bazar...
L'interprétation la plus répandue de cette scène peut se résumer ainsi : « Eh ! Vous les jeunes ! Oui, vous là, qui regardez le film ! Souvenez-vous de nous ! Soyez digne de notre sacrifice ! ».
Je me garderai bien d'affirmer la fausseté d'une telle lecture. Mais j'en ai une autre à proposer qui, à mon avis, vaut la peine d'être entendue.
Et si Miller s'adressait exclusivement à Ryan et non aux spectateurs ?
Je vous vois venir, il parle incontestablement à Ryan, pas au spectateur, le quatrième mur reste intact. Ce que je veux dire c'est que, selon l'hypothèse que je présente, Miller ne supplie pas Ryan d'être digne de ce sacrifice, mais lui lance en quelque sorte un défi.
Nous avons vu que Miller et sa troupe se posaient la question de l'intérêt du sacrifice de soldats pour en sauver un seul. Cela pouvait avoir du sens lorsqu'on se disait que le réconfort suivrait l'effort, que la guerre précéderait le retour au pays... mais puisque la plupart des soldats sont morts, c'est un peu insensé de raisonner comme cela maintenant.
Alors Miller, au seuil de l'éternité, met Ryan au défi de trouver une raison de mériter tout cela. Et évidemment, c'est impossible : comment mériter la mort d'autant de personnes ?
Et c'est pourquoi la fin, loin d'être heureuse ou joyeuse, comme on le lit trop souvent ça et là, est en réalité, implacable : Ryan a été torturé toute sa vie par la perspective d'avoir été la cause de la mort de Miller et de son peloton, et par cette mission impossible, ce travail d'Hercules : mériter, trouver un sens, au sacrifice de ces hommes. Tâche irréalisable, et par conséquent traumatisante pour ce jeune vétéran.
L'œuvre prend alors un tout autre sens : il ne s'agit pas de tenter de trouver une fin heureuse, mais au contraire, de montrer les ravages de la guerre sur la psychologie d'une personne telle que Ryan, qui fit la guerre et fut épargnée.
En quelque sorte, Il faut sauver le Soldat Ryan est une réponse et un contre-pied au précédent chef d'œuvre de Spielberg, La Liste de Schindler.
« Qui sauve une vie sauve le monde entier » dit Itzak Stern.
« Vous êtes sûr » ? pourraient répondre Miller, Ryan, et tous les personnages du film.
Et quand on y pense, c'est quand même bien plus glauque et terrible que ce qu'on dit généralement de ce film.