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Il reste encore demain est un film de Paola Cortellesi sorti cette année et qui semble déjà faire parti des bons films de cette année 2024 à en voir les tops. Curieux, surtout avec son prix et le bouche à oreille, je suis allé le voir pour découvrir, finalement, que je ne l’aimais pas. Plus précisément, que je voyais en ce film un délicieux nanar quand tout mon entourage qui avait vu le film l’avait aimé. Je pense qu’il est important pour moi d’expliquer pourquoi ce film est selon moi le nanar de l’année.



L’ensemble du film repose sur un ton sérieux et réaliste. Après tout, l’histoire s’installe dans une période historique précise, en noir et blanc (le format “classique” pour évoquer le passé historique en référence à nos images d’époques) et des images d’archives, ayant lieu dans un pays existant, tout en abordant des faits réels d’époque et des sujets sérieux comme les violences conjugales et le féminisme. Le film se veut dans l’ensemble premier degré, sérieux, donneur de leçon même …

Et puis, tu as des scènes qui tombent par hasard, dénotant totalement avec le reste de l’histoire, dans un ton plus onirique, plus détaché du réel, dont l’ensemble se mélange mal avec ce désir de réalisme. Il est étrange pour le spectateur de voir notre protagoniste parler avec ce garagiste, qu’elle connaît depuis un temps, qui lui donne du chocolat, qui découle de cette séquence où ils se regardent amoureusement, les dents tachés par le chocolat. C’est une scène mignonne dans l’absolue, mais totalement parasitaire dans l’ensemble du film.


L’ensemble du film souffre de ce mélange de ton que je considère mal maîtrisé, mais les séquences qui en pâtissent le plus de cette faille sont les séquences de violences conjugales.

Quand la première séquence du genre met en scène ces violences sous la forme d’une séquence musicale et dansante, où l’on veut chorégraphier les coups, autant dire que l’intention est grandement maladroite.

J’ai compris que l’on voulait faire un effet de contraste entre les faits graves et la légèreté des musiques, le problème étant que ce procédé de mise en scène peut entraîner ironiquement une distance avec le spectateur, qui rappelle qu’il s’agit de cinéma et de fiction. Il est parfois plus percutant de montrer frontalement la violence que la “déguiser” avec une approche onirique, pour la rendre plus cruelle et brutale, pour que le spectateur ne puisse que subir la scène impuissante (Cet aparté servant à parler des autres séquences qui se font souvent hors-champs, montrant que la réalisatrice qui voudrait aborder l’horreur des violences conjugales n’a pas eu le courage de le montrer à l'écran).

Parce qu’en l’état, avec cette distance entre le spectateur et la scène ainsi que l’approche très singulière de mettre en image les violences au sein d’un couple, je reconnais que j’ai rigolé. Un sourire, un son émis de ma bouche, que j’ai vite étouffé pour ne pas sembler odieux auprès des gens dans la même salle de cinéma que moi qui semblaient prendre la séquence avec le sérieux que la réalisatrice désirait.

Et quand le début du film, où la femme demande à son mari s’il a bien dormi, qu’il répond par une gifle sans la moindre explication, et qu’une musique se lance tout de suite après la claque, à nouveau, je n’ai pu m’empêcher de rire tant la façon de faire m’évoquait trop l’ouverture d’une comédie ou d’un sketch Youtube. Le problème n’est pas tant de rire que d’avoir la triste certitude que la réalisatrice avait tourné cette scène avec l’envie que l’on soit impliqué et outré. Moi, j’ai ri.



Le problème de ton aboutit ensuite à un profond manichéisme dans l’histoire. Pour parler brièvement, l’histoire est relativement d’un proche d’un conte puisqu’on parle d’un conflit manichéen au sein du couple où l’époux est un méchant sans rédemption possible, on a une fin heureuse symbolique où elle se libère de son mal, et une histoire d’amour qui rappelle les romances de princesses.

Néanmoins, avec ce cadre réaliste et sérieux, l’onirisme de son récit rentre en contradiction avec sa photographie et son ton général, et je n’y vois que les défauts. Une histoire simpliste et manichéenne et avec une fin idyllique peu probable …


Le premier élément concerne les hommes du film, qui sont tous caricaturaux et des clichés sur pattes. Je connais la réputation de l’Italie à ce sujet mais ça va trop loin, et dessert les intentions de l’histoire.

Je pense principalement à l’époux, un homme toujours violent et méchant, et dont la seule fois qu’il se montre affectueux avec sa femme se fait sous l’influence du grand-père. Sauf qu’un individu toujours antipathique comme lui aurait vite perdu sa femme, et surtout rend le conflit plus manichéen et “abordable” que s’il était le reste du temps aimant. Le problème majeur dans ce genre de relation, selon moi, c’est que l’époux est naturellement aimant ou au minimum sympathique, raison pour laquelle la conjointe finit par excuser et laisser couler. Jamais l’époux ne paraît être un mari appréciable, ou juste un père correct, sans même prétendre qu’il serait vraiment dangereux (si elle était partie en Amérique, il ne serait pas partie la retrouver …). La seule raison qui la fait rester sont les enfants, raison totalement louables et crédibles, mais on n’aborde pas réellement ça selon moi, en plus qu’ils soient plutôt antipathiques.

Le grand-mère est carrément le sexiste originel, qui n’existe que pour insulter et mourir, et dont l’extrêmité de sa misogynie (qui dit qu’il ne frappait pas toujours sa femme pour ne pas l’habituer) m’avait fait sourire, alors que j’espérais une lueur de nuance et d’empathie.

Et dans ce contexte de pur manichéisme, le garagiste est dépeint comme un bon parti en termes de compagnons, qu’on justifie à coup de dialogues et de séquences avec du chocolat, mais rien ne vient expliquer en quoi cet homme est différent de l’époux, qui était aussi sentimental avant le mariage.


Parlons ensuite de la fin idyllique au possible. Le garagiste propose à notre protagoniste de le rejoindre pour partir en Amérique, et il est très clair qu’elle compte tout quitter finalement. Cependant, le grand-père meurt et empêche ce départ initial.

Par contre, le lendemain, elle semble vouloir partir à nouveau, même sans le garagiste. La scène de son départ est chargée de tension, repérée au départ par son mari qu’elle doit convaincre de laisser partir, qui quitte la résidence en courant. L’époux découvre la lettre que sa femme a fait tomber par accident et décide de partir à son tour pour la rejoindre. La fille se lève à son tour et découvre la lettre et part elle aussi. On a un enchaînement de plans entre la protagoniste qui part et son mari qui marche, qui la cherche parmi la foule …

Vous pensez qu’elle partait au port pour tout quitter ? La surprise est que non ! Elle partait simplement voter. Et quand elle sort et que son mari l’attend en bas des escaliers, une horde de femmes entourent notre héroïne qui dissuadent finalement le mari.

Voilà la quintessence de la scène symbolique et idyllique, au dépend du réalisme. Parce que le mari, tel qu’il est dépeint, monterait les escaliers et tirerait sa femme de la foule par la tignasse, ou l’attendrait sagement à l’entrée pour la violenter et la ramener de force à la maison. Et ça, c’est sans compter l’argent que la protagoniste offre à sa fille, qui aurait fini dans les mains des petit-frères ou dans ceux du père qui l’aurait gardé pour son propre compte. Mais le film n’aborde pas ça, cache ces détails sous le tapis, pour clôturer son histoire avec une bonne note idéale.


A nouveau, une direction entendable dans l’absolue, que j’aurais pu apprécier comme un conte féministe, mais qui se contredit avec une intégration dans un cadre historique et réel tangible et un fond féministe qui se veut ancré dans le réel.

Parlons-en puisqu’il est une part intégrante de son récit et de son message, je devais l’aborder. Étant peu renseigné sur le sujet, je suis tout ouïe si je dis une ânerie, tant que le respect reste de mise.


Pour ma part, j’ai trouver que les éléments de féminisme étaient particulièrement naïfs dans l’ensemble et faisait ce que je déteste le plus sur ce genre de récit, porter un regard “moderne” post-féministe sur une époque lointaine, ou tout simplement des idées atténuées par la direction artistique.

J’avais déjà parlé des violences conjugales mises en scènes comme des séquences musicales maladroites au possible, du manichéisme malvenu de la relation violente qui en retirait son malsain et de la fin idyllique qui reniait toute logique et les finalités proposées (soit une fuite, soit un échec …)

Une scène, dérisoire dans l’absolue, concerne cette valorisation de la cigarette chez la protagoniste et son amie, qui cherchent à en avoir, à l’échanger contre les Américains contre des légumes … Et le présentent comme le summum de la rébellion féministe. Sauf que quiconque qui s’y intéresserait aurait conscience que la campagne “féministe” du tabac n’était rien d’autre qu’une stratégie cynique des entreprises qui ont instrumentalisé le mouvement. On me dira, à raison sur le principe, qu’elles n’en sont pas conscientes, mais la réalisatrice potentiellement (c’est elle qui les met en image après tout), que rien dans sa mise en scène traduit un regard critique sur ce fait. De plus, on verra que la réalisatrice a tendance à porter un regard moderne sur son histoire, et que par conséquent, cette absence de jugement concernant la cigarette vient à questionner.

Parlons donc de ce regard moderne sur la femme victime, en l’apparence de la fille de famille. Un personnage que j’ai particulièrement détestée, totalement ingrate envers sa mère qu’elle ne fait qu’insulter pour son manque d’activisme (même quand elle agit pour protéger sa fille de la violence de son père, une séquence qui aurait mérité un peu d’empathie). Cette femme m’apparaît littéralement comme la féministe moderne qui critique la femme d’un autre temps, sans se dire que moquer la femme “prise au piège dans une relation abusive” est loin d’être un geste noble.

Et les rares pistes féministes que je trouve intéressantes ne sont jamais réellement proposées. Par exemple, avec l’intrigue autour du mariage entre la fille et son petit-copain, on vient effleurer une corrélation entre les relations homme/femme et la classe sociale, venant sous-entendre que la précarité (et les pressions pour obtenir de l’argent et maintenir son argent) engendre plus facilement un climat violent qu’une famille aisée, et démontre le fond presque “mariage arrangée” de la relation qui semble si belle. Je pourrais même parler de la scène où la protagoniste voit au petit-copain de sa fille les mêmes gestes que son mari autrefois et montre la “vulnérabilité” de la fille qui ne voit pas les signes. Cependant, ces éléments attractifs sont vite balayés, jamais réellement abordés.


Effectivement, mon analyse se porte grandement sur ce problème de ton qui engendre plusieurs autres défauts, mais c’est parce qu’il aurait suffit d’assumer davantage un fond onirique et idyllique pour que tout le film s’améliore et que j’accepte un grand nombre de ses éléments. La mise en scène des violences seraient pour ne pas montrer directement, l’histoire manichéenne serait là pour soutenir un personnage contre un méchant pur jus et à qui on donne une fin heureuse et servirait un message féministe.

Cependant, on a un cadre historique précis, des images d’archives qui veulent le rapprocher davantage du réel, un texte en fin de film pour parler du premier vote des femmes, un premier degré palpable dans la plupart des scènes et un désir concret d’aborder des sujets adultes. Tant d’éléments qui ne se mélangent pas avec ces touches oniriques, le contredisent, desservent les intentions artistiques et nuisent à la portée de son histoire, de sa mise en scène et de son fond.


MaximeClochette
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le 10 juil. 2024

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