Rien n’est définitif, rien n’est arrêté, il faut saisir l’instant parce que c’est la seule chose qui est réelle.
Voilà une façon de résumer “il se passe quelque chose”.
Le film se définit surtout par ce qu’il ne fait pas: il ne nous mène pas d’un point à l’autre mais nous fait osciller, tâtonner, suivre l’itinéraire décousu de deux femmes qui partagent par hasard un bout de chemin. Elles existent avant et après qu’on les suive, et on ne fait que les accompagner pendant un temps, une parenthèse.
On sait qu’on ne saisira pas autre chose que ce qu’elles ont été à un instant T, on imagine qu’elles sont bien plus que ce qu’on en verra.
Une Espagnole volubile et libérée recueille une Bulgare renfermée et paumée: ensemble elle ne vivent pas la grande aventure qu’on attend traditionnellement au cinéma, elles ne se révèlent pas, elles ne se perdent pas, mais elles partagent des moments, des rencontres, des paysages, des réflexions.
“Il se passe quelque chose” croque des instantanés de vie, au gré d’un road trip qui pourrait très bien ne jamais se terminer: on ne saurait dire quand Dolorès a commencé son voyage, on sait juste qu’Irma est venue en France depuis plusieurs années, on voit leur rencontre, mais on sait surtout que rien n’est achevé quand on les laisse continuer leur route.
Le film est frais, et on s’y plonge avec délices, parce qu’il est porté par deux actrices / personnages qu’on prend plaisir à suivre, parce que les découvertes, paysagères comme humaines donnent envie de partir à l’aventure.
Il y a quelque chose qui se dégage du film, et pourtant il y a aussi quelques longueurs, et une sorte de gêne à ne pas savoir dire ce qui relève du documentaire ou du film.
C’est l’effet voulu, et il faut réussir à décrocher, à ne plus vouloir à tout prix saisir, il faut se laisser porter, oublier ses attentes.
N’empêche qu’à la longue le naturel revient au galop, et on cherche à se raccrocher à une explication qui ne vient pas.
Il faut apprendre à apprécier le film comme sa réalisatrice nous invite à savourer les rencontres glanées dans son récit, il faut saisir les petites touches qui viennent discrètement nourrir notre réflexion, réveiller nos questionnements.
La principale question, c’est celle de l’identité: suivre des femmes d’origines différentes qui rencontrent d’autres étrangers, les sentir liées d’abord par la langue, parfois par leur féminité, souvent juste par leur humanité nous aide à nous rapprocher d’elles.
La multitude des rencontre, c’est à la fois celle avec les vivants: autochtones, travailleurs temporaires venus d’ailleurs, migrants d’aujourd’hui ou du passé (par le biais des travaux de Van Gogh).
Le film et le voyage des deux femmes s’enrichit des rencontres, des cultures qui se mêlent et vont se nourrir les unes les autres pour en créer de nouvelles.
Ce n’est peut être pas un hasard si l’intrigue démarre au pied du pont d’Avignon, une structure qui cassée a perdu son utilité de lien entre deux rives pourtant devenu un élément du patrimoine, un lieu où on se retrouve grâce aux guides touristiques, et où justement nos deux héroïnes se rencontrent, bref un lieu où il se passe quelque chose.