D'abord,il ne faut pas confondre avec le film de 1979 de Jean-Charles Tacchella portant le même titre.Celui-ci est réalisé par le romancier à succès Philippe Claudel.A priori,ça ne paraissait pas gagné.Les écrivains qui deviennent cinéastes,ça donne rarement de bons résultats.L'histoire est celle de Juliette,qui vient de passer quinze ans en prison pour meurtre et,libérée,est accueillie chez sa jeune soeur Léa à Nancy.Au début,on craint la purge gauchisante,du cinéma fait par des bobos pour des bobos,avec des personnages bobos.Léa et son mari sont des intellos aisés,ayant adopté deux petites vietnamiennes,étant amis avec un médecin irakien qui a fui son pays,et pour faire bonne mesure,on croit comprendre que Luc,l'époux,est juif et que son père,qui vit là aussi,est une sorte de rescapé de la deuxième guerre mondiale.Donc,tous les ingrédients sont présents:de la réinsertion post-carcérale,une grosse louche de tiers-mondisme,et la pincée de Shoah sans laquelle la recette ne peut fonctionner.Sur la forme,ça part mal aussi,genre cinéma semi-auteurisant chichiteux.Des scènes courtes et elliptiques,pauvres en dialogues et riches en regards signifiants,ce qu'on appelle des petites touches impressionnistes.Et puis le film avance,et on s'aperçoit que ça va aller beaucoup plus loin que ce qu'on pouvait prévoir.Les scènes se densifient et s'intensifient,les personnages se révèlent profonds et magnifiques,les moments de grâce et d'émotion se mettent à défiler,l'interprétation est une tuerie,sans jeu de mots.Juliette est le pivot du film et tous les protagonistes se définissent par rapport à elle.Il y a ceux qui savent tout:Léa et son mari,la police et les services sociaux qui assurent son suivi judiciaire.Ceux qui savent en partie:les employeurs potentiels à qui son assistante sociale l'adresse.Et ceux qui ne savent pas:la fille aînée de Léa,les amis du couple.Pour tous ces gens,Juliette est objet de curiosité.Elle est sans cesse jugée,méprisée,questionnée,et son retour à la vie est problématique.C'est une femme percluse de traumas,peu bavarde et pas aimable.Pourtant,entourée d'amour,elle va peu à peu se laisser apprivoiser et apprivoiser les autres,Léa étant le catalyseur de cette renaissance.Aimant éperdument cette soeur longtemps fantasmée et qui lui a tant manqué,elle lui apporte,sans jamais la juger,un soutien sans faille.Le film est un condensé d'instants magiques et poignants,de scènes bouleversantes qui font inexorablement évoluer les personnages,d'échanges subtils et déchirants.Bien sûr,pour que ce genre de sauce prenne,il faut une interprétation plus que parfaite,et on est largement servis en ce domaine.Les deux actrices principales jouent une partition haut de gamme.Kristin Scott-Thomas fait de Juliette un bloc d'aigreur,de silence et de culpabilité impressionnant,tandis qu'Elsa Zylberstein est une Léa solaire et dévouée,la petite soeur que tout le monde voudrait avoir.Les comédiennes font une démonstration d'art dramatique,imprimant sur leurs visages toutes les émotions de leurs personnages,avec finesse et délicatesse,sans grimaces.Autour d'elles,c'est le top du top.Le trop rare Laurent Grevill,un de nos grands acteurs méconnus,incarne avec sa distinction lasse un enseignant désabusé.Il est à remarquer qu'il était déjà l'amant de Kristin Scott-Thomas en 89 dans "Le bal du gouverneur",il y a donc vraiment longtemps qu'il l'aime.L'indispensable Frédéric Pierrot exprime magnifiquement l'humanité et le discret désespoir d'un flic dépressif.Et puis,il y a la révélation de Lise Ségur,la petite asiatique qui joue la fille de Léa,qui est absolument scotchante d'aisance,de justesse et de présence.On n'avait pas vu un acteur enfant de cette trempe depuis Jules Sitruk dans "Monsieur Batignole".