Le regard porté sur la gémellité est depuis longtemps écartelé entre deux pôles : une curiosité un peu défiante, cette réduplication du même pouvant être regardée comme monstrueuse, tout comme la complicité hermétiquement close qui en découle souvent ; une fascination empreinte d'admiration, cette similitude plus ou moins parfaite pouvant rejoindre des figures de l'idéal. En littérature, le grand Michel Tournier, dernièrement disparu, est sans doute l'un de ceux qui a le plus nettement assumé cette position, allant jusqu'à créer la notion de "frère-pareil", image de la gémellité tout autant que du couple, dans son magnétique roman, "Les Météores".
Avec une intelligence et une subtilité remarquables, le réalisateur roumain Adrian Sitaru ne tranche pas entre ces deux regards. Au sein d'une famille orpheline de mère et traversée de violence, violence politique, violence des sentiments et parfois même des gestes, il crée une alvéole de tendresse et de désir, celle que forme le couple gémellaire de Roméo et Sasha, frère et sœur plus étroitement liés que ne le suppose l'ensemble de la famille, jusqu'à ce qu'une grossesse vienne révéler aux yeux de tous la nature de leurs rapports.
En dépit du titre, "Illégitime", qui semble faire porter une condamnation sans appel sur la nature de ce lien, et à l'image de l'affiche, qui allonge le duo incestueux sur un lit paré d'un bleu nuit qui isole de tout lieu et de toute époque, Adrian Sitaru parvient à filmer l'acte de chair comme il montrerait l'imbrication amniotique des deux jumeaux, si bien que l'un semble presque le prolongement naturel de l'autre et que l'on comprend tout autant l'attachement du frère à ce couple qu'il revendique que les désirs de fuite éprouvés par sa sœur, très sensiblement campée par Alina Grigore, et prise de vertige face à la transgression dans laquelle le couple fraternel est en train de s'installer.
Malgré une fin apaisée et consensuelle qui prend le titre à rebours, le spectateur sort profondément troublé de cette séance, véritablement contraint, par le réalisateur et les éléments de réflexion que celui-ci a mis en place, à suspendre tout jugement moral ou normatif.