Alan Turing méritait amplement d'avoir enfin sa biopic au cinéma. Personnage atypique et génial, à l'histoire tourmentée, il était largement temps que son nom soit connu du grand public. "Imitation game " s'y colle avec sincérité je crois et c'est une bonne chose, mais il y a tant de maladresse dans la façon de traiter ce sujet que le film peine à trouver son équilibre. Il y a deux histoires qui dominent la vie de Turing : 1) sa participation au décryptage des codes militaires allemands (la fameuse machine Enigma) et 2) l'indigne traitement qui lui a été réservé pour la seule raison qu'il était homosexuel ( mettons de côté sa carrière scientifique). Le film va tanguer entre ces deux pôles, traitant raisonnablement bien le premier aspect, mais se vautrant sur le second.
La partie "militaire" est ok. Elle est traitée de manière un peu caricaturale et bien banalement (je rassemble mon équipe comme dans "Mission impossible", personne ne me fait confiance, mais je gagne le respect de mes chefs qui ne comprennent pas mon difficile travail etc...). Les acteurs secondaires restent secondaires et les premiers rôles sont fragiles (Nightley a bien peu peu à dire et son rôle est mal dessiné, et Cumberbatch surjoue un syndrome de manière un peu mécanique, je crois). Turing n'est pas présenté sous un jour très favorable (ce qui n'est pas gênant en soi) mais surtout il apparaît à peine capable de faire le job, ce qui est plus fâcheux.... Un peu d'espionnage réveille tout cela, mais il est difficile pour un film de rendre passionnant la tâche ingrate et répétitive que faisait cette équipe. (Quant à la "solution" du problème, le "eureka" final, c'est un poil absurde...)...
Hélas le film rate le portrait humain de Turing, et son destin d'homosexuel dans une Angleterre bigote et intolérante. Le réalisateur tente de nous montrer l'enfance du petit génie, et sa première attirance pour un camarade. (Etait-ce nécessaire, ce flashback? Pourquoi ne pas le montrer à l'âge adulte, pendant la guerre? ). Puis son procés en tant qu'homosexuel , la sentence qui le tuera, tout est fait en allusion, comme une arrière pensée. Le film flotte donc sur une pudeur excessive (la vie privée de Turing n'est quasi pas dessinée) et il rate ainsi le vrai sujet choc de cette vie : comment un homme qui a sauvé son pays de la défaite a pu être ainsi crucifié après la guerre pour son orientation sexuelle. Le non traitement du procès, et la conclusion lapidaire du film sur un simple texte de générique déséquilibre complètement le film, qui aurait peut-être mieux fait de se focaliser sur un ou l'autre de ces aspects.
Un film qui a le mérite d'exister et de présenter enfin Alan Turing, mais qui le fait de manière bien molle et bien anecdotique. Lisez sur Turing, en attendant le film qui lui rendra justice.