Au cœur de la seconde guerre mondiale, Imitation game préfère aux affrontements suicidaires et sanglants (qu'affectionne particulièrement Brad Pitt dans Fury) un snobisme very british où la bataille se gagne grâce à l'éclat de l'esprit et la lucidité d'un pragmatisme patriotique. Ce film apporte un souffle rafraîchissant au cinéma sur la seconde guerre mondiale et d'une certaine manière renouvelle le genre. Mais on ne peut pas vraiment parler d'un biopic très original et le film dégouline parfois d'une atmosphère stéréotypique dont la musique grossit assez lourdement l'aspect.
Biographie filmique construite autour d'une narration divertissante, ce film a le mérite de distraire et même d' étonner, notamment dans les plans sur les avions et les sous marins qui suggèrent la menace de guerre à travers le prisme d'une sorte de rêverie idéalisée. Dans ces moments on est véritablement transporté dans un univers inconnu et presque mystique, par la musique et par l'atmosphère claustrophobique et extrêmement sombre des nuages et de l'eau qui enferment les engins dans un halo isolé. Et cet isolement, ce flou, cet éloignement que suggère la façon dont sont filmés les événements guerriers, qui surviennent d'ailleurs de manière épisodique dans le film et avec l'aide d'une utilisation admirable du fondu enchaîné, créent une distanciation du spectateur par rapport à la réalité historique comme s'il voyait la guerre telle que pouvaient l'imaginer les contemporains selon un point de vue filtré par les médias. A ce plaisir spectatoriel tout à fait contemplatif de voir la tempête au loin en se sachant à l’abri (le fameux « suave mari magno » de Lucrèce), on peut certes aussi ajouter une admiration naturelle pour le jeu de Bennedict Cumberbatch qui malgré son talent évident n'est utilisé ici que pour recycler sa virtuosité à incarner le génie britannique avec un flegme savoureux.
Toutefois on regrette une certaine maladresse d'écriture ; la narration est certes distrayante pendant toute la durée du film mais sa balourdise n'est pas compatible avec le raffinement revendiqué de son personnage principal. Les retournements de situation à grand renforts de violons sont insupportables et ne sont malheureusement que la partie visible de l'iceberg. En effet, en connaissance de la vie de Turing, on se rend très rapidement compte que ce biopic n'a pas une visée didactique et qu'il tente de faire passer un message à travers une stylisation du personnage. Celui-ci est ici présenté comme un être associable et solitaire dont le génie ne s’embarrasse d'aucune contribution extérieure pour fabriquer ses chefs-d’œuvre, ce qui est historiquement réprouvé. Il y a par ailleurs quelques confusions quant à la façon dont sont traitées les créations de Turing et le film laisse croire à une analogie entre la bombe et la machine de Turing qui sont deux entités distinctes. De nombreux autres indices témoignent d'une véritable prise de liberté quant à la réalité historique. Mais au contraire d'un biopic tel que Lincoln de Spielberg qui adapte l'Histoire des Etats Unis à l'atmosphère actuelle pour n'en conserver qu'une touche nécessaire à la réflexion sur la politique d'Obama, ce film ne réussit pas à lancer un débat convainquant malgré son parti pris.
Quoique l'on puisse passer un bon moment en salle, ce film ne présente pas assez d'attraits pour laisser une trace indélébile de son passage.