Mariée à un énergumène machiste et hyperactif, Deneuve prend la fuite. L'autre la poursuit avec une folie difficilement envisageable. Italien, la caricature est complète et le stéréotype amuse dans son emphase : il n'hésite pas à vandaliser complètement un bureau dont les employés placides refusent de lui donner une information à propos de sa femme. On comprend mal pourquoi elle s'est mariée en premier lieu ! Le film débute toutefois lorsque Montand, témoin inattendu d'une dispute entre Deneuve et son mari, se voit coincé avec Deneuve sur une île où il vit seul depuis 7 ans.
A partir de cet instant, couchers de soleil, eaux turquoises et plages blanches dessinent le cocon paisible où s'est mystérieusement retiré Montand. La pureté d'une image sans réalité définit les contours d'un bonheur fantasmé dans un au-delà paradisiaque. On sent tellement l'accord parfait d'un scénario qui veut nous faire oublier toute réalité qu'on a du mal à ne pas faire l'analogie avec le lyrisme esthétique d'une publicité un peu trop aguicheuse. Où sont les moustiques et les coups de soleil ? Dites-moi comment fait Deneuve pour garder le teint impeccable d'une poupée de Saint Trop et la coiffure étincelante en toute circonstance. Pas d'effort dans ce film, pas de perte, de douleur; les maisons brûlent, les disputent éclatent, les prisons se traversent en coup de vent mais tout cela n'a pas beaucoup de conséquences, ça ne laisse pas de trace sur les personnages, ce n'est qu'une vaste carte postale où voltigent des sentiments idéalisés, sans substances, légèrement suggestif, le spectateur n'est pas brusqué, il est brossé dans le sens du poil et finalement c'est assez réussi, on est bien dans son canap.
C'est donc un film grand public, qui ouvre une porte vers un univers solaire inaccessible au spectateur lambda. C'est aussi un film de narration, plus que d'images, c'est un film qui raconte une histoire, plus qu'une idée. C'est pourquoi on a davantage l'impression d'être en face d'une production Hollywoodienne que typiquement française, la mise en scène semble très classique, héritée des films de l'age d'or, et le scénario, parfaitement construit, repose sur les enjeux des comédies à succès américaines des années 50 : rencontre, amour, retrouvailles et happy end. Toutefois il y a quand même des traces d'un passé romantique français, héritage lointain d'un XIXème siècle littéraire où la femme fait langoureusement souffrir. Deneuve, dans sa splendeur parfaite est effectivement définie comme un être à part, elle a la fougue insouciante de la Bardot des débuts (Et Dieu… créa la femme 1956) et les hommes qui l'entourent dans ce film semblent être face à un objet incompréhensible, qui leur coule entre les doigts. Le mythe romantique de l'artiste reclus est aussi convoqué, le rôle de Montand est celui d'un parfumeur idéaliste, fuyant une société corruptrice tout en lui restant aliénée, c'est celui d'un rêveur solitaire, au cœur blessé prêt à être reconquis. Peut-on y voir un alter ego du scénariste ? Peut-être, mais il y a un décalage très étrange entre cette personnalité qui révèle un paradigme de souffrance (on pense à l'aliénation revendiquée par Baudelaire) et l'incarnation qu'en fait Montand, plutôt bonhomme et costaud, débrouillard, voire même placide. C'est le bon gars de l'histoire, et son tourment ne reste qu'un mirage lointain dans les marges de son passé. Il reste du début à la fin de l'histoire taillé dans un bloc uniforme, et les différentes péripéties n'entame jamais ses convictions idéalistes.
Bref un objet étrange, assez agréable, va le voir, analyse le si ça te chante ;)