On a oublié ce cru du militant Costa Gavras, qui y chargeait la bonne dose d'anti-racisme avec toutes les caricatures racistes qu'on pouvait accumuler (enfants qui parlent de chasser le négro et le youpin, cibles de tir bien caricaturales, des paysans résignés qui forcément se rallient aux racistes car en ces climats de crise, faut bien dire qu'on nourrit des parasites... Rien n'était assez assez gros pour donner du corps à cette confrérie raciste se regroupant lors de grands camps d'entraînements et visant à prendre le pouvoir via des politiques bien placés (ils avaient des informateurs partout)). Ici, on refait donc la même, mais en plus moderne. Avec Harry Potter dans le rôle de l'infiltré.
Le film s'ouvre avec la chasse au djiadiste, qu'on a dû mal à identifier. Dans le tumulte des différences pistes de cellules terroristes islamistes concernant un vol de matière radioactive, une voix dissidente s'élève. "Ne sous-estime-t-on pas la menace des suprémacistes ?". Le ton abrupt avec lequel le film introduit son sujet et les enchaînements de photos anti-nazies qui s'en suivent posent l'ambiance d'office. On va bouffer de l'anti-racisme d'infiltration (donc documentaire) qui reviendra sur le pas d'amalgame. Vite, du pop corn et une matraque !
En l'état, que retenir du film ? Pas énormément au final, car si le film charge au niveau idéologique en insistant continuellement sur le complot sioniste sans jamais donner un argument politique concret (on évoque à peine la haute finance, et les juifs sont constamment assimilés à une masse riche et manipulatrice, une énormité finalement assez drôle tant elle leur donne un rôle démesuré), il est relativement convenu sur le fond (le racisme, c'est pas bien) et sur les révélations qu'il fait au fur et à mesure de la découverte des différents courants du suprémacisme blanc. Il convient de reconnaître au film sa véritable valeur, son excellente capacité de reconstitution. Tout sent le naturel dans l'approche des milieux suprémacistes, les acteurs n'en font jamais trop, et la représentation finalement faite de ce milieu est cohérente. Dans ses courants politiques, religieux, lors des manifestations publiques (scène assez puissante de confrontation avec des anti-fascistes particulièrement violents)... Le style de vie suprémaciste est également abordé avec des réunions conviviales de dirigeants, des camps pour enfants, un mariage consacré par le KKK à la lueur des croix enflammées... Le film admettra lui même en la personne de l'enquêteur des qualités comme la conviction et la volonté animant le mouvement suprémaciste. Et sur le jugement moral, le film se contentera de rester impuissant avec les nombreuses pistes qui ne peuvent aboutir à des condamnations de différents leaders par manque d'actions criminelles. Il s'agit d'ailleurs d'une des raisons de la démission de Michael German, l'homme qui a inspiré l'histoire du film. De par son expérience, il milite pour une modification des lois permettant l'élargissement du statut d'acte terroriste afin d'y inclure les crimes en lien avec le suprémacisme. Dans son roman, German décrit un phénomène d'endoctrinement des suprémacistes qui "forment" les esprits de "supremacist wolves", des individus isolés qui commettent par la suite des actions terroristes en ayant coupé tout lien avec leurs précédentes relations (ce qui les exclue alors de l'accusation de conspiration criminelle). En cela, le film pouvait planter un débat, mais il devra se contenter de l'abandon des poursuites envers plusieurs mouvements, qui si ils sont suspects, n'ont encore commis aucun crime. Le film se contente alors de montrer l'impuissance de la juridiction à neutraliser ces terrains propices à la violence mais non incriminés dans des procédures judiciaires.
Toutefois, il convient de souligner la punchline de conclusion : "l'origine de tous les fascismes, c'est la victimisation." Carrément ! On est d'abord séduit par la gravité de la phrase, en se disant "ouais, les nazis, ils avaient peur des juifs et des races inférieures..." Puis on se rappelle qu'ils se plaignaient aussi du traité de Versailles qui empêchait tout relèvement du pays. Que penser aussi des homosexuels dont les associations se plaignent régulièrement d'être victime d'homophobie ? Ou que penser des pauvres qui se sentent volés par les riches ? Ce genre de généralité vaseuse ne veut rien dire, et pire encore, elles confortent les soit disant victimes dans leur statut de martyrs, car on ne répond à aucun de leurs arguments en les enfermant directement dans le camp du Mal. Comment combattre le suprémacisme si on utilise seulement la force pour lutter contre ? Juste après avoir dit qu'il comprenait les suprémacistes, voir l'enquêteur valider une telle énormité a de quoi choquer. American history X reste définitivement le meilleur film sur le racisme, car il avait intégré que le dialogue devait rester ouvert quelque soit l'obstination des camps en présence. Si les arguments sont échangés, une personne de bonne foi sera amenée à réfléchir. Et comment prétendre vouloir garder la porte ouverte si on sous entend que c'est forcément à l'autre de changer, ou qu'il n'est pas de bonne foi ? Il est dommage qu'Imperium reste finalement prisonnier de sa répartition Bien/Mal (Michael German est moins prononcé, mettant sur le même plan terroristes suprémacistes, terroristes islamistes et éco-terroristes, sans s'intéresser aux suprémacistes pacifiques qu'il a également rencontré au cours de son infiltration) et se contente de diaboliser les suprémacistes sans leur donner finalement la parole (les dialogues ne redémontrent rien, et se contentent généralement d'aller plus loin dans la surenchère complotiste (seul le suprémaciste cool dans sa maison de banlieue se permet de parler de son expérience en Afrique, d'une façon pas très détaillée pour rester poli)). Le film rate donc la polémique pour demeurer un banal thriller d'infiltration, avec ses suspicions attendues, ses fausses pistes tortueuses et ses tensions rythmant le récit. Loin d'être inoubliable malgré l'implication notable de l'ensemble de son casting (beaucoup moins caricatural que l'effort de Costa Gavras, mais ce dernier prédisait déjà tout cela (en insistant sur une fibre complotiste pas forcément valable, mais qui dopait le thriller)).