Texte originellement publié le 16/01/2018 sur Revus & Corrigés
https://revusetcorriges.com/2018/01/16/impitoyable/


Impitoyable, auréolé de quatre Oscars dont celui du meilleur film, a célébré ses 25 ans. 25 années dont le western ne s’est au fond jamais remis, foudroyé par ce film à la fois constructeur et déconstructeur des mythologies de l’Ouest. L’un des plus illustres chefs-d’œuvre du dernier des géants de l’Americana, un paroxysme du western, transcendant les enjeux de la Frontière, vers des questions universelles et toujours modernes sur la communauté, la violence et le besoin, coûte que coûte, de héros.


C’était le quatrième western réalisé par Clint Eastwood, et ce serait son dernier ; un accomplissement ou une fin en soi, c’est selon. D’ailleurs, y a-t-il un genre qui ait eu de plus belles funérailles que le western, enterré successivement par John Ford, Sergio Leone, Sam Peckinpah puis, enfin, Clint Eastwood ? Pour ce dernier, c’était un accomplissement autant personnel que cinématographique – un labeur de près d’une dizaine d’années, intense et important, et en même temps d’une simplicité confondante. Car vingt-cinq ans après, le genre ne s’est toujours pas remis d’Impitoyable. Les beaux efforts crépusculaires, plus tardifs, de Kevin Costner (Open Range) et Tommy Lee Jones (The Homesman) en sont aussi la preuve, de par leur héritage et le complément de regard qu’ils offrent sur l’Amérique. C’est là évidemment tout le centre du cinéma eastwoodien, à la fois patriote et critique, génial parce qu’ambivalent. Tous les westerns de Clint Eastwood forment une longue réflexion sur la communauté, élément matriciel de la mythologie de la Frontière. Dans L’Homme des hautes plaines (1973), elle était faible, pathétique, vide de sens et d’objectif. Dans Josey Wales, hors-la-loi, il s’agissait davantage de la construire, alors que dans Pale Rider, le cavalier solitaire il fallait ensuite la défendre. Enfin, Impitoyable se pose alors comme une variante, une altération de la communauté : elle est devenue autonome voire fructueuse, mais tyrannique par nécessité, par conséquent déviant de l’idéal américain. C’est la trajectoire toute entière du continent qui se reflète dans le western eastwoodien.


Le scénariste David Webb Peoples (co-scénariste de l’adaptation de Blade Runner avec Hampton Fancher) avec écrit une première version d’Impitoyable en 1976, intitulée The Cut-Whore Killings puis renommée The William Munny Killings. Francis Ford Coppola avait posé une option dessus en 1984, sans rien envisager sérieusement faute de financement, jusqu’à ce qu’il libère le script en 1985. Script qui finit, immanquablement, car western oblige, dans les bureaux de Malpaso, la société d’Eastwood fondée en 1967 pour produire Pendez-les haut et court (1968) de Ted Post. Mais pour diverses raisons, notamment un retour négatif de sa lectrice, et largement occupé par un deal pour la Warner qui faisait tourner à Eastwood « un film pour [lui], un film pour eux », il ne le lut pas immédiatement. Jusqu’au jour où, coup du destin, il poserait ses yeux dessus, car c’était le moment venu. Et dut attendre encore quelques années afin de vieillir pour coller davantage à son personnage, William Munny, tueur de femmes et d’enfants repenti.


Impitoyable prend place à Big Whiskey, ville construite au milieu de nulle part, dans l’état d’Alberta, au Canada, par Henry Bumstead – un directeur artistique et chef décorateur à la carrière entamée dans les années 40, passant par L’Étau (1969) d’Alfred Hitchcock ou L’Arnaque (1973) de George Roy Hill, devenant alors fidèle d’Eastwood jusqu’à son décès en 2006, réalisant les décors de Mémoires de nos pères et Lettre d’Iwo Jima. Big Whiskey, c’est justement le genre de petite ville de l’Ouest qu’affectionne tant Bertrand Tavernier : celle authentique, boueuse, constituée par une poignée de bâtiments décatis sans les grosses devantures un peu clichées, comme dans Libre comme le vent (1958) de Robert Parrish, un western âpre, violent et réaliste qu’il ne serait pas étonnant qu’Eastwood ait vu et digéré. Pas étonnant, non plus, que parmi ses westerns favoris, on retrouve le sombre et nihiliste L’Étrange incident (1943), de William A. Wellman, où là aussi le décor de la ville est constitué de trois baraques pourries., Eastwood et son équipe ont tourné Impitoyable en 39 jours à Big Whiskey et ses environs – finissant quatre jours avant la date originellement prévue – un exploit vu les conditions de tournage et le grand froid sévissant dans la région. Comme John Ford, comme Sam Fuller, Eastwood tournait (et tourne encore) vite et bien. Une condition en fait sine qua non pour un cinéma essentiellement construit sur des concepts simples (narrativement et formellement) et à la fois direct et en douceur auprès des acteurs (rarement plus de trois prises).


À Big Whiskey, c’est le shérif Little Bill Daggett qui fait la loi. Eastwood voulait Gene Hackman dans le rôle, mais celui-ci lui avait fait part de sa répulsion quant à jouer un rôle gratuitement violent avant d’être in fini convaincu justement par le discours du film sur cette violence. D’ailleurs, Impitoyable ne manquerait pas d’enclencher chez Gene Hackman une série de rôles d’antagoniste, souvent particulièrement salauds (et moins excentriques que son Lex Luthor de Superman), dès le western de Sam Raimi, Mort ou vif, sorti trois ans plus tard, où c’est encore lui qui tient la petite ville locale, puis dans USS Alabama (1996) ou encore Les Pleins pouvoir (1997), de nouveau de Clint Eastwood – un film au passage particulièrement remarquable à revoir aujourd’hui au vu de l’actualité présidentielle américaine. Dans Impitoyable, pour Eastwood comme pour Hackman, leurs rôles étaient un écho, en prolongement ou contradiction, à ce qu’ils avaient représenté tous les deux dans les années 1970. Comme si, pour Hackman, faire le salaud dans les films hollywoodiens était une manière de poursuivre ses rôles de la grande époque de la contre-culture américaine.


Little Bill représente parfaitement l’ambiguïté du cinéma eastwoodien, son anti-manichéeisme total et aussi le désir constant du cinéaste de troubler les pistes à son encontre. D’un côté, Little Bill est le contraire de l’idéal libertarien d’Eastwood : il dirige Big Whiskey d’une main de fer, décide qui vit et qui meurt, et comment se règlent les affaires de la ville. De l’autre, il impose dans la ville un gun control – ce à propos de quoi Eastwood a plutôt été en faveur malgré les ragots qui circulent à son égard, toujours prompts à en faire une figure fasciste –, et surtout, il ne dirige ni par goût du pouvoir ou appât du gain, simplement pour préserver la pérennité des lieux. Lui-même ne souhaite d’ailleurs que construire sa petite masion au bord du lac pour y couler ses vieux jours. On pourrait croire que sa petite oligarchie avec ses adjoints façonne presque une idylle westernienne, puisque la ville échappe globalement à la criminalité pourtant si typique du genre. Le seul forfait comis, d’ailleurs, moteur de l’intrigue, est le fait de cow-boys de passage, des barbares étrangers. Mais lorsque ces pauvres types tailladent une prostituée et que la peine de mort est réclamée par les autres travailleuses du sexe, Little Bill, tout pragmatique qu’il est, préfère nuancer en précisant que déjà trop de sang a coulé. La communauté a davantage intérêt à trouver une forme de compensations qui dépasse le cadre de la vengeance : ce sera donc une poignée de chevaux. Finalement, plutôt qu’une idylle, Big Whiskey est à certains égard une contre-utopie westernienne, où la rationalité déshumanisée et liberticide permet néanmoins à la petite cité d’exister. Un dictateur, presque dans le sens romain du terme, et pour cause, puisqu’Eastwood en disait : « Il a un certain charme… Et je crois qu’il pense qu’il faire le bien, c’est simplement quelqu’un qui fait son boulot. [1] » La question de « faire son boulot », qu’il soit moral ou amoral, sera par ailleurs au centre de plusieurs films d’Eastwood contemporains, comme American Sniper (2014) ou Sully (2016).


Eastwood réfléchit donc à l’usage de la violence sous deux approches dans Impitoyable : par Little Bill, c’est le théorique « monopole de la violence », une violence calculée, d’usage par l’État, donc en l’occurrence lui ; par William Munny, c’est davantage une violence impérieuse et instinctive, utilisée éventuellement pour faire le « bien », donc en somme celle du vigilante, figure incarnée à plusieurs reprises par Eastwood. Ainsi, il poursuit également une tradition du « western de salauds » déjà bien aboutie dans La Horde sauvage (1969), ou même préalablement dans Quarante tueurs (1957) de Samuel Fuller. Il y juxtapose cependant une autre nuance, celle du « western de simplets » façon John McCabe (1971) de Robert Altman ou Deux hommes dans l’Ouest (1971) de Blake Edwards, où la communauté, l’Ouest et ses rêves se construisent puis s’autodétruisent selon les mésaventures de cowboys un brin loosers sur les bords. Impitoyable fait se côtoyer un grotesque presque innocent – les élucubrations britannico-royalistes d’English Bob (Richard Harris) – à des humiliations terrifiantes. La déconstruction (qui est autant mythologique, morale que physique) des héros obsède Eastwood depuis longtemps. C’était, après tout, déjà le cas dans Les Proies, sorti vingt ans plus tôt, en 1971, la même année que L’Inspecteur Harry, mais il fallait ici qu’il mature pour le rôle. Ainsi, il pouvait lui-même faire traîner ce vieux cowboy dans la boue par des cochons, usé, amoindri, peu capable de remonter sur une selle (l’image de William Holden, avachi sur sa monture dans La Horde sauvage après en être tombé, n’est évidemment plus très loin), et encore moins de se défendre (il ne coupe pas au passage à tabac par Little Bill).


Démanteler le héros, c’est aussi désassembler la légende – la fameuse, que l’Ouest imprime. William Munny était l’un des alias de Billy le Kid. Quelque chose ne correspond pas au niveau des dates, ça n’est pas chronologiquement « cohérent » dirait-on, et pourtant le scénario de David Webb Peoples s’amuse à générer une confusion autour du personnage chez les spectateur. Après tout, l’histoire de l’Ouest n’est que ce que l’on en fait, racontée par tous avec les fantaisies les plus terribles ou fascinantes. Les cartons introductifs et finaux donnent au film un ton à mi-chemin entre la chronique et un récit mythologique – et pour cause, le western américain a souvent flirté avec la mythologie européenne. Aussi, Munny s’inscrit dans une zone de trouble : certes, c’est le héros (parce que Eastwood, parce qu’il prend le parti des prostituées), certes, c’est en même-temps un anti-héros (parce que tueur de femmes et d’enfants), mais la valeur morale du personnage n’est pas aussi facile à déterminer. Et puisqu’on a souvent reproché à Eastwood d’incarner des flingueurs réactionnaires, il disait lui-même : « Eh bien, je pense pouvoir dire que d’un côté, il y a un peu de mois dans tous mes personnages, et de l’autre, il n’y a absolument rien de moi dans les personnages que j’ai dû interpréter. Après tout, je n’ai pas à être en accord avec les personnages que j’ai joués. Certains ne correspondent absolument pas à ma philosophie, d’autres, indubitablement plus. [2] »


Dans ses zones de gris, le cinéma d’Eastwood, entre Ciel et Enfer, est terrien, dans tous les sens du terme. Un cinéma qui en même temps concède des notions de « bien » et de « mal » et qui en même temps s’affranchit d’un compas moral. C’était, déjà, ce qui caractérisait son cinéma de metteur en scène dès ses débuts, entre Un Frisson dans la nuit (1971), l’histoire d’un animateur radio harcelé par une fan, et L’Homme des hautes plaines (1973), retour énigmatique d’un cowboy vengeur dans une petite ville de l’Ouest. L’un déconstruisant son image de beau gosse inatteignable, l’autre reconstruisant juste ensuite une figure mythologique encore plus ambivalente. Dans Impitoyable, cette idée de cinéma terrien est programmée dès le premier plan du film, cet horizon scindé en deux qui laisse autant de place au ciel qu’à la plaine plongée dans l’obscurité – comme encombrée, voire bouchée par tous les cadavres des victimes envoyées six pieds sous terre par Munny. Un plan qui revient en guise de conclusion, avec encore un double-sens : une évocation élégiaque et fordienne, lyrique d’un côté, comme dans La Charge héroïque (1949) et un geste crépusculaire et tragique de l’autre, façon Peckinpah dans Pat Garrett et Billy le Kid (1973). Un plan enfin quoi-de-plus-eastwoodien, par, malgré tout, la simplicité de son idée.
Premiers flingues et seconds couteaux


Dans ses gammes et ses nuances, le cinéma d’Eastwood a toujours été remarquable dans les détails, les seconds et petits rôles. Ici, deux font la plus grande différence : W.W. Beauchamp (Saul Rubinek), biographe d’English Bob, et le “Schofield Kid” (Jaimz Woolvett), jeune gâchette facile qui se fantasme justement en Billy le Kid. Ils cristallisent la mythologie du western : le premier l’écrit, le second en est le consommateur, et ultimement la victime désillusionnée, à l’instar de Bob (Casey Affleck) dans L’Assassinat de Jesse James par le lâche Robert Ford (2007). Ce que construit Beauchamp, dans ses récits épiques sur English Bob alias le « Duc de la mort » (détourné par Little Bill en « Duck de la mort » – encore une nouvelle proximité entre grotesque et funeste, par ailleurs inspirée du surnom de John Wayne, « The Duke »), davantage que l’iconisation de son héros, c’est l’apologie d’une violence presque romantique, celle des chevaliers des grands espaces qui volent au secours des dames en détresse et règlent leurs comptes aux soi-disant truands. C’est construire, en quelques sortes, encore et toujours, l’inéluctable violence du territoire américain. Une idée entretenue dans les moindres détails inhérents à l’Ouest, puisque ce qui le symbolise, outre les chapeaux et les chevaux, c’est bien l’arme des cowboys, le Colt – au nom très ironique de Peacemaker – « Pacificateur ».


Ces personnages, Beauchamp et le Schofield Kid, ont tous deux séquences qui sont les réels centres de gravité du film. Alors que Little Bill, après lui avoir cassé la gueule et enfermé dans une cellule, s’amuse à démanteler la légende d’English Bob, alcoolique, lâche et piètre tireur, devant son propre biographe, il propose à ce dernier une arme chargée, comme pour faire une expérience. L’espace de quelques instants, Beauchamp a l’occasion justement d’user de la violence qui a fait son succès d’écrivain pour tuer Little Bill. Le cinéma d’Eastwood est là à son paroxysme : il n’est plus que simplicité des plans, de la lumière, du montage sans musique, laissant vivre la tension au travers des acteurs. Beauchamp se ravise… mais propose l’arme à English Bob, misérablement terré derrière les barreaux de sa cellule. Tenté, il ne saisit pas l’occasion non plus. Dans la même séquence, Eastwood fait « analyser », au travers de Little Bill, une séquence de fusillade : les cowboys qui dégainent trop rapidement tirent mal, se tirent dessus ou paniquent et font n’importe quoi. Avec une précision effarante, il répète déjà la fusillade finale qui, en un certain sens, bouscule d’emblée nombre de conventions dans son rythme longuet, ses échanges de coup de feu approximatifs et son refus de lisibilité globale. Soudain, naît l’idée qu’à peu de choses près, Little Bill, filmé ici comme tel, aurait pu être le héros d’Impitoyable (titre qui lui va tout aussi bien), puisqu’après tout il « fait son boulot », et que, par ailleurs, Eastwood rappelait souvent que quoi qu’on en pense, il avait « la loi de son côté ».


La seconde séquence, avec le Schofield Kid, a lieu plus tard, après que lui et William Munny aient assassiné – lâchement – leur seconde victime aux toilettes. Non seulement Impitoyable traite la violence avec méfiance, mais aussi la mort avec dégoût. C’est autant ce pauvre type qui allait au petit coin, ou, préalablement, son acolyte, blessé à mort dans une embuscade et geignant en se vidant lentement de son sang, isolé dans un coin de canyon. Ceci aura déjà fait rebrousser chemin à Ned Logan (Morgan Freeman), ami de Munny et compagnon des méfaits de jadis, peu enclin à renouer avec un passé funeste et traumatisant. Quand c’est au tour du Kid d’avoir des scrupules, Munny donne ultimement le ton de la scène et assène : « C’est quelque chose, de tuer un homme. C’est lui ôter tout ce qu’il a eu, tout ce qu’il pourrait avoir ». En une phrase, Eastwood nuance voire contredit toute l’image qui lui a été collée à la peau, qui le poursuit encore, d’homme de violence et enclin à la peine de mort (à croire, par ailleurs, que le plus tardif requiem Présumé Coupable a été oublié). Ainsi, Eastwood contredit la ritualisation de la mort dans le monde westernien, celle motivée et entretenue par des conceptions chevaleresques désuètes, celles que Beauchamp décrit, mais aussi celles dont John Wayne était évidemment le porte-étendard, lui qui avait toujours refusé de tirer dans le dos de ses adversaires, jusqu’à même son dernier film, Le Dernier des géants (alors que son réalisateur, Don Siegel, avait justement envisagé le contraire). Par ailleurs, The Shootist, le roman de Glendon Swarthout dont est tiré Le Dernier des géants, l’histoire des derniers jours d’une légende l’Ouest rongée par le cancer, faisait parti des références de David Webb People pour son scénario. Dans un cas comme dans l’autre, un pourrissement interne des personnages sur fond de remise en question du passé. Ce dégoût rappelle enfin L’Homme des vallées perdues (1953), de George Stevens, avec Alan Ladd, qui discourait sur l’usage de la violence, montrée sous son aspect le moins glorifiant par un cowboy anonyme ; un film à la structure largement reprise par Eastwood dans Pale Rider (1985).


Dans le dernier acte d’Impitoyable, en forme de vigilante, Eastwood fait revenir l’ombre du fantastique, avec laquelle il a régulièrement flirté depuis L’Homme des hautes plaines. Sa clôture du western n’est plus un simple rituel ou un hommage, mais un cauchemar éveillé où le démon l’emporte. C’est la musique de Lennie Niehaus qui donne cette fois-ci le ton, avec ses cordes lancinantes, caverneuses, comme sorties d’un ancien film d’horreur, où Munny apparaît comme boogeyman de l’Ouest. Une fois la tempête infernale passée, les notes de musique renouent enfin avec la sublime ballade mélancolique qu’est le thème du film, celui de Claudia, la femme défunte de Munny, partition signée par le cinéaste lui-même. Reste à Munny, littéralement la mort dans l’âme, de retourner chez lui avec son maigre butin, s’occuper de ses gosses, et d’oublier, une nouvelle fois. Recommencer une nouvelle vie à l’Ouest, en Californie, peut-être. Auparavant, W.W. Beauchamp aura de nouveau été témoin des exactions vengeresses du tueur soi-disant repenti, la tête pleine de nouvelles histoires sordides à raconter. Comment Munny a vengé les prostituées. Comment Munny a tué à lui seul tous les adjoints du shérif. Comment Munny a assassiné de sang froid Little Bill. Beauchamp deviendrait-il alors, malgré lui, le scénariste d’Impitoyable ? Mais que pourrait-on bien écrire après ?


Il y aurait pour Eastwood un avant et un après Impitoyable. Déjà, pour le considérable succès commercial du film, avec ses 160 millions de dollars de recettes dans la monde pour 14 de budget. Ensuite, pour ses quatre Oscars : meilleur film, meilleur réalisateur, meilleur second rôle pour Gene Hackman et meilleur montage pour Joel Cox (un fidèle d’Eastwood, monteur de l’essentiel de ses films depuis les années 1970). Enfin, pour la liberté désormais totale accordée à Eastwood, reconnu cinéaste à part entière, par la Warner : il ne ferait dès lors plus que des films personnels, s’éloignant de productions comme La Relève (1990), sorte de Dirty Harry 6 tendance guignole avec Charlie Sheen, qu’il avait réalisé pour financer Impitoyable et compenser l’échec du mésestimé Chasseur blanc, cœur noir (1990). Avec Danse avec les loups (1990), lui aussi auréolé de statuettes dorées deux ans avant Impitoyable, renouant un lien abimé entre l’Académie et le western depuis le sacre de La Ruée vers l’Ouest (1931), le genre entrerait enfin dans une nouvelle ère. Une ère peut-être davantage défaite de ses grandes références, synthétisées dans cette mouture définitive par Clint Eastwood – qu’il dédie à « Don and Sergio ». Un Ouest achevé ? Peut-être. En tout cas, jusqu’aux prochaines funérailles du western.


À lire, superbe article sur Cinephiliabeyond.org enrichi de plusieurs documents, interviews, scénarios :
https://cinephiliabeyond.org/unforgiven-clint-eastwoods-eulogy-man-no-name-anti-western-masterpiece/


[1] Entretien avec Clint Eastwood, Cahiers du Cinéma, n°460, octobre 1992.


[2] Ibid.

Créée

le 21 juin 2017

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Lt Schaffer

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