"Impitoyable" est avant tout une incroyable rencontre entre le cinéma moderne et le mythe du western : Clint Eastwood, longtemps considéré comme un cinéaste mineur dans son pays, triomphait enfin, en pleine maîtrise de sa thématique comme de sa mise en scène. De nombreuses lectures du film sont possibles :
1) une lecture politique, puisque le film montre à quel point un pouvoir qui use de brutalité perd sa légitimité, et dénonce une société répressive trouvant des échos dans les violences policières de par le monde, même démocratique...
2) une lecture "auteuriste" : "Impitoyable" apparaît aussi comme l'aboutissement du travail d'appropriation des thèmes et des mythologies de l'Amérique qu'effectue Eastwood depuis longtemps. De plus, il semble y parachever ses pulsions masochistes, et déployer une obsession presque complaisante (si elle n'était teintée d'humour) pour sa propre décrépitude !
3) néanmoins, c'est à l'aune du western qu'il convient de le juger : "It's a hell of a thing, killin' a man," dit William Munny (Eastwood lui-même), "You take away all he's got and all he's ever gonna have." "Impitoyable" rejette le concept obscène de faire de la Mort un spectacle, un divertissement comme un autre : personne ne mourra donc rapidement ou facilement ici, il n'y aura ni prostituée joyeuse, ni parties de poker animées, ni belles tenues de cow-boy, seulement des ivrognes qui s’entre-tuent en hurlant et pleurant dans un éternel retour de vengeance absurde. En questionnant les actes et la morale de tous, en montrant que la violence n'engendre que la violence, en rappelant cette évidence que la loi et la justice ne sont pas toujours synonymes, Eastwood propose ici une autre forme de western, avec son anti-héros hanté par l'obscurité que chacun a au fond de soit, et comme abasourdi par sa propre cruauté. "Impitoyable" est un film d'une grande intensité de par son ambigüité même, mais qui n'oublie jamais de rendre l'hommage qu'ils méritent aux maîtres Leone et Siegel : lorsqu'il se remet de la correction que l'homme de la Loi lui a infligé, Clint ne tendra pas l'autre joue, mais reviendra bel et bien en ultime et terrible incarnation du "Man With No Name" qu'il a été 30 ans plus tôt... Ceci dit, les amateurs du genre auront aussi le droit d'y trouver un improbable retour au classicisme, celui d'un Anthony Mann, par exemple...
Au final, le miracle est que, si "Impitoyable" est logiquement sombre et dévastateur, il est également, et paradoxalement, magnifique et éternel.
[Critique écrite en 1992, 1997 et 2002, mise en forme en 2017]