In Another Country par Chro
Par Murielle Joudet
Une jeune fille en vacances s'ennuie avec sa mère, et griffonne trois petits scénarios racontant chaque fois l'histoire d'une Française elle-même en vacances (Isabelle Hupert, parfaite), d'abord cinéaste, puis femme adultère, enfin épouse délaissée. Si The Day he arrives ressemblait à une peinture remuante, In another country évoquerait davantage une bande-dessinée muette, dans laquelle viendrait s'égarer une actrice française, traversant les vignettes pleine de farces et attrapes d'un cinéaste qui fait des films comme on ouvre son coffre à jouets.
Le cinéma d'Hong Sang-Soo se perfectionne à mesure que s'intensifie la gratuité de ses procédés, et que se déploient ces petites scènes interstitielles (la femme qui voulait porter une dernière fois sur son dos l'homme qu'elle s'apprêtait à quitter dans HA HA HA, le voyage dans le caniveau d'un caca de chien sur la 7e symphonie de Beethoven dans Night and day) qui jalonnent sa filmographie et semblent vouloir prendre de plus en plus de place. On a l'impression que lui-même tend à ne faire plus que des films interstitiels, fait de zooms sur des objets glanés au sol et de bruits d'animaux, comme un enfant ramasserait des bricoles pour les porter à sa bouche, bout de papier, limace et bouteilles vides, sans hiérarchie. In another country serait à cet égard le film-interstice ultime, film-bout de papier, plus proche que jamais d'un idéal de gratuité pure.
Que peut, exactement, le surgissement d'une actrice française dans les décors d'Hong Sang-Soo ? Il offre à la narration de se suffire de raccourcis, de simplifications, d'un décharnement qui coïncide avec ce que devient le langage en milieu touristique : réduit à sa fonction utilitaire, les mots remplaçant les phrases. Plutôt que muet, In another country est un film onomatopéique - on imite le phare, on imite la chèvre. C'est aussi, avec la station balnéaire, le décor qui se vide, devenu paysage abstrait, comme le fond uniformément coloré d'une vignette de bande dessinée. Ce paysage, c'est celui, mental et cloisonné, du désir, où tout est réduit à une sorte de schématisme solaire, plein comme un coloriage (il y a chez HSS des films d'été et des films d'hiver, le soleil et la lune, comme chez Rohmer), où la chambre n'est plus qu'une tente plantée au milieu de nulle part. (...)
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