C’est une parodie de société, une parodie de jugement, et In the fade apparaît comme une parodie de film politique à but didactique et moral. Il faut, pour apprécier l’œuvre de Fatih Akın et s’émanciper des critiques véhémentes prononcées par la plupart des medias, dépolitiser ce film. Sur ce point, c’est sûr, le texte maladroitement affiché à la toute fin, replaçant le récit dans le contexte de la menace néo-nazie européenne, ne nous aide pas, tout comme l’allusion inopportune à l’attentat de Hambourg lors du procès. La réalisation hésite et parfois même égare le spectateur dans une appréhension ironique : un attentat nazi, contre des immigrés, quand tout le monde garde en tête les attentats perpétrés contre l’occidentalisme et justifiés par une religion importée en Europe ? C’est le monde à l’envers.
Pourtant, le scénario est empreint d’une autre logique qui prend toute son ampleur à l’échelle individuelle, celle du microcosme entourant l’épouse et mère en deuil qui veut combler le vide créé par la disparition de sa famille. Katja traverse dans son deuil l’Etat de droit et de la justice, l’état de nature et de la vengeance personnelle, pour finir dans l’état de l’absurdité, seule dans l’incompréhension et dans sa recherche du sens à donner à sa propre douleur. Car les deux premiers états ne sont pas satisfaisants. La justice de l’Etat est longue, schématique et se veut exhaustive. La vengeance personnelle n’est pas souhaitable d’un point de vue moral – il ne faut pas que l’oiseau qui frétille doucement près du camping-car se retrouve victime d’une vengeance personnelle. Et quand il ne reste plus rien, quand on a rebroussé tout le chemin des Euménides à Agamemnon, il reste le suicide collectif, le retour au sang, celui qui provient de l’intérieur même de l’utérus.
L’épopée personnelle, du deuil à la révolte contre l’absurde, de l’Allemagne jusqu’à la Grèce, portraiture d’une manière bien terne, mais bien juste, cette nature humaine qui se manifeste quand les failles de l’Etat de société plonge l’individu dans l’incompréhension, de sorte que seuls ses sentiments le guident dans sa recherche de sens.