Chip, jeune gamin de 6 ans, vit sereinement avec Joey et Cody, un couple gay dans une paisible bourgade du Tennessee. Quand Cody -son père biologique-, décède dans un accident, Joey fait de son mieux pour garder la tête haute, et rester pour Chip le « Papou » qu’il a toujours été. Mais la famille du défunt se prévaut d’un testament qui l’autorise à lui retirer la garde de l’enfant sous prétexte qu’il n’a pas de lien de sang avec lui. Désespéré, Joey tente de regagner à tout prix la garde de Chip, qu’il considère comme étant son fils. Même si la loi n’est pas de son côté, il met tout en œuvre pour rétablir le dialogue avec ceux qui veulent lui enlever son enfant.
Wang écarte l’option du film débat-de-société sur l'adoption par des couples de même sexe. Il ne porte pas de regard moral ou politique, ne fait ni procès, ni apologie de l’homoparentalité, évite le « film à thèse », pour aborder le sujet uniquement sous l’angle de l’intime. C'est un film familial où l'orientation sexuelle est secondaire (même si la décision familiale d'éloigner Chip de Joey est sans doute basée sur un préjugé envers son homosexualité). Mais en se concentrant sur le père adoptif, le film vise à l’universel, s’interrogeant sur ce qu'est la famille et ce que signifie être famille. In the Family est une œuvre sur le duo amour-perte, qui questionne en profondeur ce qu'est l'amour, comment pleurer un être cher perdu et comment revenir à une vie « normale »
Wang construit son discours avec retenue et patience sur près de trois heures que l’on ne voit pas passer. Cette durée est nécessaire pour se fondre dans cette famille et vivre avec les personnages. Elle permet également au cinéaste de poser sa caméra sereinement pour simplement montrer, sans jamais juger. Le rythme du film ne souffre aucunement de sa longueur qui a contrario imprime sa profondeur à l’histoire et impose l’impact émotionnel en se donnant le temps de comprendre ce qu'est une famille, et à partir de quand on en fait partie, ou pas.
A quelques rares exceptions et malgré le drame, tout est serein, calme, paisible. Pas de pathos. Les scènes les plus dramatiques sont traitées à distance, filtrées ou hors-champ. La caméra s’éloigne au moment de l’annonce de la mort de Cody dans le hall de l’hôpital devenu silencieux ; l’intervention d’une voiture de police ne laisse apparaitre que quelques éclats de gyrophares dans un entrebâillement de porte, et l’enterrement de Cody est de manière symbolique assez radicale purement remplacé par un écran noir uniquement porté par une mélodie minimaliste. Le scénario suit la même logique, en évitant le pathos et le manichéisme, pour laisser place à la vie, en toute pudeur.
Le scénario progresse par séquences ramassées, plans séquences statiques rigoureux, allant de la félicité à la reconstruction en passant par la solitude et les souvenirs de l'être aimé, mêlant quelques flashbacks intimistes à un récit déroulé sans esbroufe. Quelques temps forts impressionnent par leur intensité et leur force émotionnelle : l’annonce de la mort de Cody dans le hall de l’hôpital, le retour des funérailles et le plan fixe frontal de Joey anéanti pendant qu’en arrière-plan Chip s’active à préparer un coca et une bière, la proposition amoureuse de Paul à Joey, la séance de conciliation face à la belle famille.
Economie de plans, peu d’effets de caméra, plans fixes aux cadres rigoureusement choisis, le réalisateur laisse se dérouler la vie, et privilégie la proximité avec les protagonistes. Intimiste, rarement la caméra s’en éloigne et ne laisse entrevoir autre chose que leur essence. Du collège où officie Cody on ne verra qu’un plan fixe sur son bureau et un élève au tableau, de l’hôpital on ne verra que le hall d’accueil, de la ville où ils habitent on ne verra que la façade de leur maison. On ne s’éloigne jamais de l’essentiel.
Wang propose un regard photographique d'une modernité rare. Les plans sont souvent décadrés La composition laisse parler les marges du cadre, qui deviennent lieux d’actions, et l’image est souvent construite de telle manière que c’est au spectateur des combler les vides entre les pleins.
On saluera enfin le rôle involontaire au générique mais oh combien important dans la rencontre des deux hommes, de Chip Taylor musicien-chanteur fétiche de Cody, créateur entre autre du Wild Things des Troggs en 1966 ou de Try (Just a Little Bit Harder) immortalisé par Janis Joplin en 1969, auteur d'une bande son tout en finesse. (et par ailleurs père de Cody à l'écran)
Co-producteur, scénariste, metteur en scène, acteur, et même auteur de textes de morceaux de musique, Patrick Wang fait preuve avec ce premier film d'un exceptionnel talent dans sa manière de mener son intrigue autant que dans sa direction d’acteurs. In the Family est un vrai beau et grand moment de cinéma, rarement prévisible, souvent discrètement surprenant, et surtout très chaleureux, humain et incroyablement émouvant. Ce film merveilleux est une œuvre à la marge et universelle qui va à l'encontre de tout ce qu'on voit habituellement.