En quelques lignes
Hong Kong, 1962. Madame Chan et Monsieur Chow sont voisins depuis peu. Il se pourrait qu’entre eux deux, délaissés par leurs époux respectifs, se trame quelque chose.
Et en un peu plus
« Je suis une personne très maussade. Je trouve le traditionnel un peu ennuyeux…Les Chinois sont assez conservateurs avec les images, il faut donc percer de l’intérieur. » - Wong Kar-Wai
Il est bien question d’intérieur, dans In the Mood for Love, à tel point que s’il s’agissait d’un tableau, on le classerait volontiers dans la peinture de genre. En témoigne cette attention permanente de Wong Kar-Wai et de son directeur de la photographie Christopher Doyle à ce qui peuple le dedans, choses et gens mêlés dans un portrait intime du Hong Kong des années soixante : un appartement étroit où les individus se croisent dans une promiscuité permanente, des murs décatis mais sublimes, traces de la colonisation britannique, des autocuiseurs à riz et des bols de nouilles instantanées, nouveaux fétiches de la modernité domestique qui habitent désormais le quotidien au moins autant que les ancestrales tuiles de mah-jong. Sans les oublier bien sûr, elle et lui, êtres abandonnés qu’on capte dans leurs gestes simples, dans leur quotidien routinier, dans cette solitude profonde surtout que viennent surligner en permanence de somptueux surcadres – lui fumant une cigarette dans l’ouverture d’une porte entrebâillée, elle se multipliant dans la glace d’un miroir, eux deux dos à dos, séparés par un mur mitoyen. De l’extérieur nous ne verrons pas grand-chose d’autre qu’une rue obscure balayée par la pluie, comme si le dehors ne valait rien face à ce qui a lieu dedans.
La surcouche de l’un des drames romantiques les plus célèbres de l’histoire du cinéma est donc peut-être celle-ci : une radiographie méticuleuse de ce qui se trame chez soi, entre soi, une série de portraits d’intérieurs au sens le plus pictural du terme dont la puissance d’évocation visuelle, magnétique, tient notamment à un traitement magistral de la couleur et de la lumière, interagissant entre elles dans un jeu constant de saturation et de vaporisation sublimé par les violons inoubliables de Shigeru Umebayashi. Une telle obsession pour la mise en scène, maniériste et soignée à l’extrême, pourrait faire oublier que le cœur du film tient pourtant dans la relation amoureuse qui se noue entre deux êtres esseulés et l’expression de la souffrance qu’ils partagent. Or, c’est bien par l’image que Wong Kar-Wai parvient à faire poindre l’émotion et l’intériorité de ses personnages, pris dans l’impasse d’une relation impossible.
Loin des effusions romantiques, traversé de dialogues aussi rares qu’élégants dans leur dépouillement, In the Mood for Love peint l’amour plus qu’il ne le dit et mobilise chez les spectateurs l’attention que ses héros ne reçoivent plus pour en traquer les signes. Attention à une larme, à une cravate soudain colorée, à ces magnifiques robes à fleurs dont les bigarrures tranchent avec la tristesse qu’elles recouvrent, à ces combinés vert doux qui sonnent dans le vide, à l’amour et son effondrement soudain qui se glissent dans les non-dits d’une main retirée, à l’hésitation d’un geste, à la beauté de ce qui ne se fait pas, à cette fumée de cigarette qui raconte, comme un texte illisible écrit dans l’air lourd, tout le poids d’une trahison partagée.