Un palmier au premier plan domine une vallée sèche et désertique, le bruit du vent puis la voix commence, la voix de Thom Yorke. La caméra recule, on découvre un bâtiment aux fenêtres détruites, des hommes armés, et des enfants qui se font raser la tête, ils paraissent terrifiés. La scène se passe quelque part au Moyen Orient, mais le spectateur ne possède pas plus de repères. Le mouvement de caméra est lent, la scène est vierge de dialogue, sans le moindre son autre que la musique. Cette scène est lente et puissante, le spectateur est prévenu, il va assister à un voyage, à une expérience, et il a intérêt à s'accrocher.
Ainsi commence Incendies, l'adaptation de la fameuse pièce de Wajdi Mouawad.
A la mort de leur mère Nawal, les jumeaux Simon et Jeanne Marwan reçoivent du notaire deux lettres, l'une destinée à leur père qu'ils croyaient mort, et l'autre destinée à leur frère dont ils ignoraient l'existence. Afin de clarifier la situation, la seule solution pour les jumeaux est d'enquêter sur le passé de leur mère. Le récit est ici parfaitement maitrisé par Denis Villeneuve, qui a ré-écrit la pièce pour son film. Divisé en sortes de chapitres ("Les Jumeaux", "La femme qui chante"...) l'intrigue alterne les lieux et les époques en multipliant habilement les pistes, le spectateur allant de découvertes en découvertes en même temps que les jumeaux, sans jamais vraiment prendre de l'avance sur eux.
Les dialogues sont très bien écrits, et par moment renforcent le côté théâtral du film, "tu cherches à retrouver ton frère, mais tu ne sais même pas qui est ta mère", "si tu es la fille de Nawal Marwan, tu n'es pas la bienvenue ici", "la mort n'est jamais la fin d'une histoire". De nombreuses répliques restent immédiatement dans la tête, c'est le cas de la fameuse scène du 1+1=1.
La maitrise du scénario et des dialogues est loin d'être l'unique clé de la qualité du film, les acteurs y sont aussi pour beaucoup. Lubna Azabal, comédienne belge d'origine marocaine, incarne Nawal, la performance est saisissante, une grande partie du film repose sur son jeu, vu la complexité de son personnage et surtout de son histoire. Les jumeaux, bien qu'en retrait par rapport au personnage de leur mère, sont eux aussi bien interprétés. Les sentiments et émotions des personnages sont parfaitement retransmis, le jeu est juste et le spectateur y croit.
Incendies est un film qui ne laisse pas indifférent, il fait réfléchir le spectateur et le fait réaliser l'horreur des guerres de religions, sans jamais prendre part ni tomber dans la critique facile. Le film de Villeneuve, comme la pièce de Mouawad, n'est pas un pamphlet, mais juste une histoire tragique parfaitement retranscrite à l'écran, sur un rythme qui ne laisse presque aucun temps mort au spectateur. Un film coup de poing, un chef d'œuvre.
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