Infection
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(SPOILERS)
Parmi tous les grands noms hollywoodiens actuels, Chris Nolan a mon respect. Pourquoi ? Parce qu'on a le sien. Même quand il nous sort un The Dark Knight Rises blindé d'invraisemblances, il joue le jeu jusqu'au bout. Dans Inception, il prend un gros risque : se prendre pour les héros du Prestige, son film à base de rivalité magicienne. Et il nous lance une fausse-piste tellement récurrente que l'on ne décèle pas sa vérité.
Ca fait toujours marrer ceux qui n'en regardent pas mais faire un blockbuster, y a rien de plus relou. Du moins, quand t'as un projet. Sois tu la joues détente, humour et t'espères que les gens s'amusent, soit t'essaies de proposer un truc plus sérieux au risque de passer pour un parvenu hautain. En 2010, quand il décide de citer/piller (rayer la mention inutile) Paprika de feu Satoshi Kon et Le Charme discret de la bourgeoisie de Bunuel (les rêves imbriqués en sont l'enjeu principal), Nolan aurait pu en livrer une pure simplification. Or, il va en profiter pour prendre ses aises, bien aidé par son frangin scénariste. Ainsi, il brime la folie visuelle de Paprika au profit d'un style naturaliste pour mieux insérer la complexité du film de Kon dans une mécanique de blockbuster.
De même, son fil rouge ne sera pas un double personnage féminin mais un duo d'enfants à la présence spectrale...
On le sait, Chris Nolan est l'antithèse de Terry Gilliam, Masaaki Yuasa ou encore Jean Cocteau. Ce n'est pas un franc-rêveur. La mèche volontaire, il se pique toujours de retenue. La première fois, je trouvais Inception d'une pauvreté rare, oniriquement parlant. Un train dans la rue, une ville en ruines, une maison inondée et une baston en apesanteur ? C'est ça ton film onirique ? Les architectes m'ont paru être une fausse bonne idée, cadenassant les songes avec la rigueur d'un actionnaire. Mais le style naturaliste de Nolan faisait ici écho à un scénario captivant. Au lieu de le surcharger, il l'a rendu limpide, accessible. De fait, il a presque totalement dégagé la portée symbolique du bijou de Satoshi Kon. Presque : subsistent deux coffres-forts, un jouet d'enfant, un ascenseur en forme d'auto-analyse... Mais eux aussi, à l'écran, semblent épurés.
Pourtant, les enfants sont encore là. Mêmes habits, même posture, ils apparaissent à tous les étages du songe...
Si l'on peut s'amuser à voir une célèbre référence mythologique qui parcourt Inception, elle ne donne qu'un bref aperçu de sa structure globale, car elle est centrée sur le personnage de Dicaprio. Ainsi Cobb, poursuivi par des fantômes qu'il ne peut regarder en face, évoque Orphée, revenu des Enfers avec Euridyce à la condition de ne jamais la voir, sous peine de la renvoyer au Royaume des morts. Détourné, le mythe trouve un drôle d'écho dans Inception : morte, la femme du héros ne cesse de le hanter, de s'adresser à lui au moment le plus inopportun, de remuer le couteau dans la plaie. Incapable de se séparer d'elle, il l'enferme dans une prison de souvenirs qu'il peut regarder encore et encore. Car, et on ne le saura que trop tard, Cobb a pris un risque qu'il savait trop grand et provoqué le pire moment de sa vie. Depuis, il se plonge dans une catharsis éternelle et vouée à l'échec.
Vouée à l'échec, mais motivée par deux progénitures qui continuent de s'amuser sous les yeux de Cobb, et dont il refuse de voir les visages...
Car l'air de rien, Inception étonne par la portée émotionnelle de son principal arc narratif : en comptant les heures passées à rêver avec sa femme, Cobb est une "âme vieillie dans un corps de jeune-homme". Le héros interprété par DiCaprio a vécu environ 80 ans quand nous le découvrons. A l'instar du flic de Paprika, incapable de se guérir d'un mauvais coup de feu, Cobb vit par et pour une batterie d'images mortifères. Belle manière de digérer le travail du Japonais pour l'adapter aux normes d'un pop corn movie exigeant. Merveille rythmique dont l'exposition, bouffant la moitié du film, est de plus en plus grisante au fil des visionnages, Inception entremêle les enjeux, les actions, les temporalités et les informations structurelles avec une maîtrise jouissive. D'une intro qui place au coeur de l'action sans mode d'emploi préalable, il enchaîne avec une présentation de son concept et de ses protagonistes où jamais l'action ne cesse d'avancer, de soulever de nouvelles questions.
Mais celle qui demeure, à la fin du voyage, est celle-ci : le héros est-il revenu d'entre les limbes ?
Ne regardez pas Cobb qui se réveille, sourit à ses collègues et retrouve, enfin, son foyer. Ne regardez pas non plus cette toupie qui attire inlassablement le regard. Détournez les yeux. Regardez les enfants. La dernière fois que Cobb les a vus, le garçon portait une chemise à carreaux, la fillette une robe. Ils étaient de dos, dans le jardin. Combien de chances y avait-il pour qu'en revenant chez lui, dans la réalité, il les retrouve habillés de la même façon, toujours de dos, dans la même posture et dans ce même jardin ? Combien, au juste ?
Sweet dreams, Mr Cobb.
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le 1 nov. 2014
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