Autrefois, j'évoluais tranquillement dans la réalité, accordant ma confiance à quelques personnes dont j'appréciais la culture, l'humour, la vision, les goûts. J'étais heureuse et insouciante, parfois surprise, rarement déçue.
Et puis, Inception est sorti. Sur le visage de mes amis, sur leur wall facebook, partout, on lisait le même contentement d'avoir vu un bon film. Les yeux pétillants, la bouche un peu sèche d'avoir si longtemps béé, le verbe pressé de raconter l'extase cinématographique. Alors je me suis bouché les oreilles. J'ai fermé les yeux. De peur de déflorer le plaisir, d'en attendre trop.
Et je suis allée le voir.
Las, dès les 10 premières minutes, je me suis sentie très seule (un peu comme en seconde quand on a fait un débat sur la peine de mort et que personne d'autre que moi n'avait ouvert la bouche pour dire "la peine de mort spa bien" et que je me suis rendu compte que les gens étaient méchants). Sous mes yeux ébahis, se sont succédé des scènes de jogging de l'extrême, de course de van, de façades qui se délitent, de Leonardo di Caprio qui serre les dents, de Leonardo di Caprio qui fronce le sourcil, de Leonardo di Caprio qui serre les dents et fronce le sourcil en même temps. (Oui, je trouve que Grolardo di Carpaccio est mauvais comme un cochon, mais je n'ai pas vu Titanic, alors je ne peux pas comprendre)
Le tout sur une trame assez grossière. Cela dit, pourquoi pas, "allez les mecs, on va piquer les secrets là où ils sont planqués, dans l'inconscient". Que personne n'ai dit à Nolan que l'inconscient n'est pas juste un coffre fermé à clef, mais le territoire du refoulé, passe encore. Les Etatsuniens ne sont pas les champions de l'orthodoxie analytique, je sais bien. Mais qu'il fasse de cette idée de départ un mauvais film d'action, ça commence à me déranger. (Et quand les scènes d'action servent à transformer un film moyen d'une heure vingt en blockbuster poussif de deux heures et demi, c'est pire).
Les scènes de course-poursuite accomplissent l'exploit d'être à la fois illisibles et prévisibles. Les "projections", un éléments intéressant du scénar au départ, ne sont même pas marrantes, puisque cantonnées à se conduire comme des petits soldats soumis aux lois de la physique. Les personnages secondaires, bien qu'incarnés par des acteurs qui ont grave la classe internationale, restent inconsistants et insipides au possible. du gâchis. Ellen Page, Michael Caine, Gordon-Levitt... ils ne servent à rien. Entendons nous bien, ils font avancer l'histoire, mais à part ça, il font joli, point barre. Des adjuvants, disait-on en cours de lettres. Des pions au service du héros. La rivalité entre Arthur et Eames est à peine esquissée, et donne lieu à... deux vannes ? C'était bien la peine. Par respect pour sa famille et ses amis, je ne dirai rien de Marion Cotillard. Ah si quand même, elle parle rudement bien anglais.
Allez, il y a quelques trucs à sauver. Le coup de l'apesanteur, ça rappelle Apollo 13, c'est distrayant. Quand la jeune Page apprend son boulot d'architecte, plier Paris, tout ça, ça claque. Mais ça reste foutrement inutile, puisque ce n'est jamais ré-exploité par la suite. Du coup, j'ai du mal à me départir de l'idée qu'on est dans le film d'épate : de l'effet spécial à gogo, mais qui ne sert à rien. A aucun moment on n'a de recul, de second degré, de finesse. Tout est asséné, m'as-tu-vu. On est dans la démonstration, et pis c'est tout.
C'est con. Le postulat de base me rappelait un peu Les Fleurs bleues, de Queneau. "Lao Tseu rêve qu'il est un papillon, mais n'est-ce pas le papillon qui rêve qu'il est Lao Tseu?" Ben moi je rêve que je ne suis pas allée au cinéma hier, et que je peux continuer à écouter mes amis quand ils me recommandent un film.