[Critique parue dans Jelly Brain n°9 de février 2020]
En cette période de Saint Valentin, quoi de plus romantique qu’un film d’horreur mettant en scène des succubes ? Les apparences sont une fois de plus trompeuses : Incubus est bel et bien un film d’amour.
Difficile de faire plus atypique que ce film de 1966. En effet, sa particularité est d’avoir été tourné en espéranto, langue créée en 1887 avec la vocation d’en faire une langue internationale, pour abolir les frontières. Cette décision fut motivée par l’omniprésence de démons dans la diégèse et donne un aspect vraiment singulier. Mais si l’intention est plus que louable, la prononciation des acteurs est calamiteuse si l’on en croît le consensus. Qu’importe, ce langage inventé de toutes pièces participe à former une atmosphère étrange et inquiétante qui fait vraiment la force du film.
Réalisé par Leslie Stevens, qui est notamment connu pour être le créateur de la série Au-delà du réel, Incubus a pour protagoniste une succube qui n’éprouve aucun remord à séduire et tuer des hommes. Pour plaire au diable, elle décide de s’attaquer à une âme noble, malgré les avertissements de sa sœur aînée. Cette âme noble est incarnée par nul autre que William Shatner, juste avant que sa carrière n’explose avec Star Trek. Ce qu’elle n’avait pas prévu, c’est qu’elle tomberait amoureuse de sa proie… Et comme une telle relation est évidemment contre nature, les deux amants vont devoir lutter contre les forces du mal pour pouvoir vivre leur amour.
La carrière du film est presque plus étrange encore : incapable de trouver un distributeur à cause de sa particularité, Incubus ne sortit au cinéma qu’en France où il attira un peu plus de dix mille spectateurs. Avant sa sortie, l’acteur Milos Milos, qui interprète l’incube du titre, assassina sa compagne avant de se donner la mort. L’actrice Ann Atmar, incarnant la sœur de William Shatner, s’est également suicidée peu de temps après le tournage. Mais l’histoire ne s’arrête pas là, ce qui a amené de nombreuses personnes à penser que ce film était maudit, étant donné son sujet et son année de sortie (66). Un incendie détruisit les pellicules et le film fut considéré comme perdu pendant de nombreuses années jusqu’à ce qu’une copie soit retrouvée à la Cinémathèque Française. Il fut ainsi restauré et une nouvelle génération de spectateurs put enfin découvrir ce petit chef-d’œuvre.
Il eût en effet été dommage de passer à côté de ce qu’on pourrait décrire comme du Bergman de série B dopé d’inspirations Lovecraftiennes. Il est effectivement difficile de ne pas penser au maître suédois face à ce noir et blanc somptueux, ces cadres millimétrés (œuvres de Conrad Hall, chef opérateur multi oscarisé) et ces personnages en pleine crise identitaire. Mais Incubus arrive tout de même à déployer sa propre atmosphère étouffante, crépusculaire et mérite amplement le détour, ne serait-ce que pour son originalité.