“I’m getting too old for this shit” ! La fameuse réplique de Danny Glover dans L’Arme fatale annonçait-elle avec trente ans d’avance l’un des paradoxes hollywoodiens les plus tenaces des années 2020 ? Sam Neill dans Jurassic Park, Jamie Lee Curtis dans Halloween, Hugh Jackman rappelé pour Deadpool 3, Courteney Cox et son tailleur fluo dans l’increvable Scream… Les franchises s’accrochent mordicus à leurs origines, et plus aucun héros rétro n’est à l’abri d’une nouvelle mission. Au point de questionner la capacité de la machine à rêves à façonner de nouvelles figures pour la pop culture. Si quelqu’un peut en témoigner, c’est bien Harrison Ford. Après avoir volé la vedette à pas mal de monde dans Star Wars : Le Réveil de la Force, et joué avec les nerfs et les certitudes de Ryan Gosling dans Blade Runner 2049, le voici de retour pour un nouveau coup de lasso dans la cinquième aventure d’Indiana Jones.



Tout cela sent donc bon le réchauffé, surtout après la déception générale provoquée par le quatrième volet sorti en 2008. Mais Indiana Jones et le Cadran de la destinée a le bon goût d’assumer l’âge de son protagoniste et de faire du vieillissement des héros (dans leur chair comme dans nos mémoires) le sujet central de son intrigue. Pas étonnant qu’après sa scène d’introduction tonitruante, le film nous présente Harrison Ford torse nu, en bien belle forme pour son âge mais clairement marqué par le temps. Nous sommes en 1969 à New York. On vient de marcher sur la lune, les Beatles envahissent les ondes FM, et Indy se sent clairement largué. Sur le point de partir à la retraite et de divorcer de Marion (Karen Allen, de retour pour un joli caméo), l’archéologue noie toute sa perte de sens dans le whisky. L’arrivée de sa filleule Helena (Phoebe Waller-Bridge) va pourtant le forcer à remonter en selle. Malgré des motivations différentes, le duo se lance dans une course contre la montre pour retrouver un cadran fabriqué par Archimède lui-même, et déjouer les plans d’un nazi mégalo (Mads Mikkelsen, visiblement ravi d’en faire des tonnes).



Étonnamment, le film passe à côté de la dimension ludique de sa chasse au trésor. Les scènes d’action s’enchaînent, mais les pièces du puzzle à résoudre pour trouver le cadran d’Archimède ne laissent jamais le temps au spectateur de mener sa propre enquête. Le plaisir est donc à trouver ailleurs. Tout d’abord dans le choix de Phoebe Waller-Bridge pour jouer Helena. Un peu comme si l’irrévérencieuse héroïne de sa série Fleabag s’était invitée dans la saga, les névroses en moins mais l’humour intact. Plus forte que la somme de ses punchlines, l’actrice crée un personnage attachant, offrant un véritable écho à celui d’Indy. L’impressionnante scène d’ouverture du film envoie du lourd aussi. Oui, la fameuse scène de rajeunissement numérique permettant à Ford, quatre-vingts balais au compteur, de se faire passer pour un quarantenaire resplendissant, et qui a déjà fait couler beaucoup d’encre. Aussi surréaliste soit-il, l’effet est saisissant, et claque la porte de l’innovation technologique au nez de Benjamin Button. C’est aussi l’occasion pour le réalisateur James Mangold de nous montrer combien il aime la grammaire spielbergienne, respectée à la lettre. Bref, le spectacle est réjouissant et vous bondirez sur votre siège, que vous le vouliez ou non. Il y a enfin la confrontation thématique d’Indy avec ses fantasmes d’archéologue. On ne vous en dit pas plus, si ce n’est que les fans choqués par la soucoupe volante du quatrième film risquent de se liquéfier avant l’arrivée du générique.



Alors, “too old for this shit” ? Oui, Indiana Jones et le Cadran de la destinée est un film de vieux qui s’assume, conscient de l’absurdité de son retour mais heureux de déployer la sagesse de son expérience. Le risque industriel étant que le jeune public ne suive pas ce héros d’un autre temps. Cela dit, si ça peut convaincre Hollywood de reprendre le chemin de la créativité et le goût du risque, on n’est pas contre un sixième épisode !


Stanislas Ide


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le 30 juin 2023

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