Thomas Lilti nous avait habitués au milieu hospitalier, au médical décliné sous toutes ses formes : des débuts sur les bancs de la fac (Première année) aux premiers pas d’interne (Hippocrate) en passant par un remplacement à la campagne (Médecin de Campagne). Pour son dernier long-métrage, l’ancien médecin généraliste change de registre mais pas d’angle pour autant.
Ne parvenant pas à rédiger sa thèse, Benjamin (Vincent Lacoste) décide de prendre du recul en acceptant un remplacement comme professeur de maths dans un collège. Il est accueilli dans une équipe d’enseignants soudée et bienveillante mais confrontée aux difficultés structurelles du métier. Avec lui, nous sommes invités à plonger dans une ambiance collective, festive et solidaire mais aussi à entrevoir les brèches individuelles, l’intimité des personnages. De couche en couche, Thomas Lilti dévoile ses protagonistes, donnant à son film, comme pour les précédents, un caractère profondément humain. Cet aspect-là est renforcé par le parallèle entre le masque social porté par les professeurs dans le cadre de leur emploi et les dynamiques qui existent dans les couloirs, entre deux portes, à la table de la cantine ou dans leur vie privée. Néanmoins, une stricte dualité est illusoire et il semble inévitable que parfois les deux se mêlent.
Poursuivant son exploration des êtres, de leurs rapports et de leurs fragilités, Litli ausculte moins un milieu que la manière dont chacun s’y débat et y évolue. Le cinéaste semble aimer étudier la manière dont l’environnement confronte les individus. Un métier sérieux n’est donc pas qu’un énième film situant son intrigue dans un cadre scolaire, mais dans une forme de continuité par rapport à ses autres films (le nouvel enseignant s’appelle également Benjamin Barois comme le jeune interne que nous avions suivi dans Hippocrate).
Son esthétique soignée - les mouvements de caméra dynamiques, qui permettent une forme de proximité avec le groupe et les personnages, toujours dans cette idée d’invitation dans l’intime - et son casting y participent grandement. On y retrouve des acteurs et actrices ayant déjà joué sous sa direction comme Vincent Lacoste, Louise Bourgoin, François Cluzet, Bouli Lanners, William Lebghil, mais aussi des premières collaborations comme Adèle Exarchopoulos. Il se dégage une complicité non feinte et touchante de leur jeu collectif.
Même si on y a trouvé une belle sensibilité, il nous a manqué un peu de la subtilité d’Hippocrate dans Un métier sérieux - un sentiment de trop peu, une impression d’être resté en surface. Ceci s’explique peut-être par le fait que Thomas Lilti, ayant beaucoup puisé dans son expérience personnelle, maîtrise beaucoup mieux les défis du milieu hospitalier de manière à nous y embarquer avec finesse et sans difficulté, ce qui est moins le cas ici.
Sans pour autant accuser un film superficiel, on n’accède donc pas au même niveau de profondeur. A certains endroits, Un métier sérieux présente moins de nuances et frise parfois la mièvrerie. Et ce, malgré que les thématiques abordées soient finalement aussi actuelles que politiques : le manque de moyens du corps enseignant, sa fragilité face à une injonction constante d’évolution et d’adaptation. Des thématiques assez récurrentes dans l'œuvre du scénariste. La légèreté aurait pu être un parti pris si ces brèches plus politiques n’apparaissaient pas dans le film. Il reste cependant agréable et accessible, fidèle au cinéma sans fard de Thomas Lilti. Le réalisateur réaffirme sa passion sincère pour les métiers du soin et du lien, dont l’enseignement fait indubitablement partie.
-Raïssa Alingabo Yowali M'bilo
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