Le plaisir est toujours le même !
Steven Spielberg apporte une touche plus sombre encore, plus gore, dans les aventures de l’intrépide archéologue et, ce faisant, renforce encore la fascination qu’exerce le héros sur une génération de spectateurs qui ne rêvent plus que de vieilles pierres cachées sous la poussière du temps passé. Indiana Jones and the Temple of Doom a longtemps été mon épisode préféré de la trilogie : l’humour y est plus présent encore que pour l’opus précédent, l’idole au chapeau et au fouet s’y trouve en réel danger de mort et d’abandon, et la magie moire qui habite les foules en transe dans les grottes sanglantes du palace donne
une atmosphère inédite à ce qui reste, malgré l’hémoglobine, un magnifique spectacle grand public.
L’ouverture voit le gentleman baroudeur tenter de sauver sa peau lors d’un échange de coups de pression dans le luxueux club Obi Wan de Macao avant qu’il ne parvienne à s’enfuir, emmenant avec lui la belle chanteuse du cabaret, grâce à la complicité d’un jeune garçon chinois aussi inconscient que bavard. Quelques milliers de kilomètres plus tard, l’avion où ils se croyaient sortis d’affaire menace de s’écraser après la disparition des pilotes et voilà le trio qui dévale les pentes enneigées des massifs himalayens jusqu’à une vallée aride du nord de l’Inde. Repérés par un vieux sage, ils sont conduits dans un village désolé où Indy est accueilli en sauveur :
venu des cieux, envoyé des dieux,
il saura délivrer les enfants du clan pris en otages par les membres d’un culte sanguinaire à la cruelle déesse Kali. Si l’idée d’offrir altruisme et générosité ne séduit pas totalement l’aventurier, la révélation de l’existence des légendaires pierres de Sankara et de leur magie suffit à le convaincre d’emmener ses compagnons jusqu’au palais d’où sévit l’occulte culte.
Les plaisirs et les hommages se font dans la continuité de l’opus inaugural : suspense intense et humour décalé, grosse touche de fantastique, multiples variations de tons, superbes décors aux pièges insoupçonnés, mécaniques d’entraînement irréversibles, sublime photographie naturaliste des paysages traversés – digne d’un numéro du National Geographic – et touches d’expressionnisme dans les intérieurs nuit pour appuyer le danger, merveilleuse reprise du score original de John Williams,
Steven Spielberg magnifie avec application, et une bonne dose de talent, tous les éléments caractéristiques de la franchise
mis en place lors de l’épisode précédent.
Et pour ne pas garder l’exact même schéma, afin d’emmener le spectateur là où il ne s’y attend pas, le réalisateur appuie sur la montée de gore du scénario avec des éléments de décor et des effets spéciaux impressionnants de réalisme : du dîner composé de serpent farci, de scarabées et de cervelles de singes givrées à l’extraction à main nue du cœur du sacrifié, en passant par le couloir qui craquèle de mouvements sous les pas des héros, l’opus assume
une horreur qui va crescendo du détail inconfortable à l’insupportable flot de l’écœurement.
Encore une fois le spectateur est happé dans la course en avant grâce à cette impressionnante maîtrise du rythme narratif qui vient nous certifier combien le maître américain du cinéma de divertissement sait
l’importance du montage autant que de l’écriture,
et connaît les moindres rouages de la grammaire de cet art du mouvement duquel nait le récit : trépidant !
Bémol au casting avec de nombreux absents mais Harrison Ford continue de porter le film sur ses épaules en reprenant avec un plaisir évident ses cabrioles et l’équilibre fragile de confiance en soi, de méfiance constante et d’humour hâbleur qui caractérisent cet archéologue mythique du cinéma, ancrant dans le cœur de ma génération
l’idolâtrie d’un héros populaire,
révélant là des intérêts insoupçonnés pour l’Histoire des civilisations. Si Kate Capshaw sait assurément se mettre au diapason, on peut regretter la caricature de femme superficielle loin de la compagne précédente : certes cela est propice à quelques beaux échanges comiques mais dénote également d’un abandon d’une certaine forme de subversion progressiste qui pourtant faisait la force du duo de l’épisode initial. Un regret encore, celui de ne pas avoir assez revu Jonathan Ke Quan qui apporte beaucoup d’humanité et de fraîcheur avec son personnage de Demi-Lune : le gamin fait montre d’un immense talent, toujours juste entre deux comédiens qui bouffent l’écran, le jeune acteur fait sa place sans faiblir un seul instant. La prestation malheureusement ne lui a pas complètement ouvert les portes d’une carrière alors prometteuse.
Indiana Jones and the Temple of Doom se hisse donc sans temps mort au niveau du métrage précédent : l’on y frémit, on rigole, on sue et on angoisse. La partition narrative déroule tout au long de l’aventure
un récit haletant
et confirme encore l’incroyable potentiel inventif du cinéaste américain. Entre occulte et réalisme, entre frissons d’horreur et tendresse, le spectateur est balloté dans les pas incertains du professeur Jones avec les hauts idéaux d’une pure jouissance cinéphilique : si le cinéma est affaire d’évasion, le maître Steven Spielberg continue de démontrer combien le divertissement exige également
une forme d’intelligence du mouvement et de l’émotion
qu’il adore étaler sur la pellicule argentique, créant là une forme de magie plus grande encore que tous les artifices qui occupent ses personnages.