Je pense qu’on tient le chef d’œuvre de Tarantino

Si je ne suis pas toujours fan du travail du célèbre Quentin Tarantino, il m’arrive d’adorer son travail, voire de le placer sur un piédestal, c’est le cas pour Inglorious Basterds, pourtant pas l’un de ses films les plus populaires, surtout qu’il est sorti juste avant Django Unchained. Cette relecture de la seconde guerre mondiale, oubliant complètement le film de guerre et ses codes au profit d’un style beaucoup plus proche du thriller, n’aura pas toujours su trouver son public et mais elle a su me trouver moi. Pourtant, sur un tel sujet je m’attendais vraiment pas à une telle réussite que je vais expliquer en vous proposant l’écoute de Rabbia & Tarantella pendant la lecture.


Le film reprend le concept de différents arcs narratifs d’abord indépendants les uns des autres, au moins en apparence, pour finalement se rejoindre en fin de film, ce qui n’est pas grandement original dans la filmographie du réalisateur mais ça reste une construction avec ses intérêts et défis, ces derniers étant relevés avec brio. Je vais d’abord suivre cette construction dans ma critique en reprenant chaque arc narratif et enfin le final avant d’évoquer les points plus relatifs à l’ensemble du film.


L’arc de Shoshanna, par lequel s’ouvre le film, présente la chasse aux juifs avec une froideur absolument glaciale. Un résistant devant collaborateur pour sauver sa famille d’une menace qu’il n’ose imaginer, un colonel SS impitoyable jubilant d’avoir la vie d’êtres humains entre ses griffes, une rescapée qui ne pourra jamais se remettre de ces événements tragiques et devant elle-même un monstre… beaucoup de maturité se dégage de cette partie du récit qui n’en est encore pourtant qu’à ses débuts. D’ailleurs, cette scène est souvent la plus appréciée même par ceux qui n’ont pas adhérer à l’ensemble du film.


La suite met en place un contexte permettant de situer l’action dans un cinéma et d’aborder de façon plus large la culture et comment la dictature et la propagande l’impactent. C’est une thématique assez intéressante en soi et la façon dont le colonel SS revient dans l’intrigue dans ce contexte est tout simplement magistrale. Elle permet de lancer l’aspect thriller du film là aussi avec beaucoup d’efficacité et qui saura très bien gérer son suspense et ses rebondissements pour le reste de cet arc narratif. À ce sujet, Quentin Tarantino explique sa méthode de travail :



Pour générer le suspense, le récit est enterré sous une multitudes de détails qui paraissent insignifiants, dont on ne saisit pas l’importance avant que celle-ci nous saute aux yeux. Chaque scène du détective est un interrogatoire dont chaque partie est l’un de ces détails.



L’arc des inglorious basterds introduit une caricature amusante de soldats alliés juifs revanchards tuant des nazis à la chaîne et les scalpant, moins audacieux dans un premier temps mais déjà très divertissant, ça ne désamorce pas le premier arc narratif puisqu’il s’en distingue nettement dans un premier temps. Le montage entre l’interrogatoire mené par Hitler et le flashback est par ailleurs très efficace pour faire comprendre à la fois cet aspect caricatural et pour mettre en évidence des détails qui seront essentiels à la compréhension de l’intrigue par la suite.


Même sous ses airs plus décomplexés et comiques, où on a l’impression de voir des gentils invincibles face à des méchants sans nuances incapables d’être autre chose que des cibles, on retrouve donc les éléments du puzzle liés à l’arc de Shoshanna, ce qui témoigne de toute la maîtrise de la question. Même quand Inglorious prend ses airs de divertissement dans lequel il est très convaincant, il ne se détache jamais réellement de la principale substance du film et continue d’en établir des liens en toute subtilité et pertinence.


L’arc de l’espionne allemande reprend ce contexte culturel mentionné plus tôt pour très vite donner dans le huit clos aux dialogues, et aux gestes, ciselés jusque dans les moindres détails. C’est une des parties les moins appréciées du film généralement, elle est parfaitement au niveau des autres pour ma part. On retrouve vraiment ce qui fait la réussite du suspense du premier arc, à savoir tous ces détails qui prennent sens au fil de l’intrigue avec des temps morts qui ne sont jamais superficiels ou inutiles.


En parallèle à cela, on retrouve toujours cette maturité du récit avec un soldat allemand jeune père de famille qui vient humaniser ces soldats, un SS suffisamment fanatisé pour mener à une mort certaine ses hommes à un moment où ils se croyaient en paix, une alliée qui se rend coupable d’un crime discutable… rien à redire pour ma part. Ces 3 arcs narratifs mettent en scène des personnages différents les uns des autres et avec des tons généralement très différents, surtout celui des Inglorious Basterds, mais tout ça est très bien lié au sein d’une seule intrigue.


Le bouquet final où convergent ces arcs alterne les moments de tension anxiogènes, les retournements de situation surprenants, les gags hilarants, les scènes d’action spectaculaires, les plans de toute beauté, les morts tragiques… et apporte une conclusion que je qualifierai tout simplement de magnifique pour ce scénario et cette narration menés de mains de maître. Ils comprennent bien sûr un rythme qui peut être difficile à suivre quand on a pas l’habitude ou quand on s’attend à autre chose, mais passé ce parti pris, c’est superbe.


Au-delà de la qualité d’écriture des dialogues, le jeu des acteurs est une autre grande force du film. Ils sont grandioses pour la plupart mais je retiendrai tout particulièrement la performance de Christophe Waltz, oscarisé pour cela, dans son rôle de colonel SS intelligent, manipulateur et arrogant. Je retiendrai aussi celle de Brad Pitt qui semble complètement s’éclater dans rôle de leader sûr de lui en toute circonstances et aux répliques bien sarcastiques, ainsi que celle de Mélanie Laurent, alors inconnue d’Hollywood, qui insuffle beaucoup d’émotions pour ce personnage féminin fort et séduisant.


Par ailleurs, le film justifiant l’utilisation de langues multiples (anglais, allemand, français et italien), il le respecte très bien et est même un exemple en la matière. Le montage s’adapte pour faire durer plus longtemps les scènes dans la langue de l’adaptation, le sous-titrage n’apparaît pas quand un personnage ne comprend pas une langue qui lui est étrangère, les acteurs sont souvent de la nationalité auquel se rapporte leur personnage… L’universalisme reconnu de l’anglais est d’ailleurs critiqué au passage, ce qui fait toujours plaisir, en fait c’est le fait de ne pas parler aucune langue étrangère à sa langue maternelle qui peut être moqué.


L’OST, auquel a participé Ennio Morricone, est tout simplement l’une de mes OST favorites de film. Que ce soit pour marquer un suspense insoutenable, appuyer l’aspect burlesque d’un gag, intensifier le drame d’un événement… elle est toujours d’une efficacité imparable et n’ai absolument rien à lui reprocher. Son utilisation est aussi très pertinente, dans ses moments où elle arrive comme dans ses moments où elle s’arrête de façon inattendue, prenant à contre-pied une utilisation plus traditionnelle et donc prévisible.


J'adore ce film qui relit la seconde guerre mondiale en Europe sous un angle qui mêle humour, suspense et drame avec un brio délectable : la narration parfaitement élaborée, les dialogues minutieusement écrits pour aussi bien amuser qu’émouvoir, les propos abordés particulièrement matures, le jeu d’acteur magnifique d’un casting époustouflant, l’OST magistrale et magistralement utilisée… Quentin Tarantino réalise-là pour moi le film que je lui préfère, c’est avec celui-ci que j’apprécie le plus son empreinte de réalisateur si particulière.

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le 7 oct. 2019

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damon8671

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