Les langues comme armes de guerre
Qui sont ces Inglourious Basterds ? Une bande de mercenaires américains qui terrorisent le IIIe Reich, en scalpant et massacrant les soldats nazis qui tombent sous leurs battes de baseball. A la lecture du pitch du dernier Tarantino, on peut légitimement s'attendre à un bain de sang cinématographique. Il n'en est rien. La fiction ne joue que pour l'anecdote la carte de la sauvagerie. Car dans Inglourious Basterds, on se bat surtout avec les mots.
La Liste de Schindler, Il faut sauver le soldat Ryan ou, plus récemment, Walkyrie : généralement, dans les films de guerre hollywoodiens, on cause l'anglais américain. Et l'allemand des nazis est bien souvent caricatural. Là, Tarantino croise trois langues, le français, l'allemand et l'anglais (plus l'italien en bonus-à-hurler-de-rire), en valorisant les nuances phonétiques et les accents. Conséquence directe du casting cosmopolite, où chaque comédien possède scrupuleusement la nationalité de son personnage ?
Pas seulement. On en a vite idée avec le colonel SS Hans Landa (Christoph Waltz). Un « chasseur de juifs » méthodique et polyglotte, qui débarque dans une ferme française avec l'intime conviction qu'une famille juive s'y planque. Le nazi s'entretient longuement avec le paysan, en parlant d'abord un français impeccable. Puis décide, avec l'aval de son hôte, de passer à l'anglais. Tarantino mène en bateau ses spectateurs, pense-t-on. Erreur : l'officier a deviné que des Juifs se cachent sous le plancher. Et a choisi momentanément la langue anglaise afin de ne pas les alarmer... Machiavélique !
A l'image de ce premier chapitre, la plupart des séquences du film sont des joutes verbales, à deux ou à plusieurs, autour d'un bon verre de lait, de vin, de schnaps, de bière ou de whisky. S'appuyant sur des dialogues savoureux (et déjà cultes), Tarantino brasse à sa sauce les nationalités. Brad Pitt, leader des « Basterds », grommelle son accent du Tennessee, aussi prononcé que le flegme du Britannique Michael Fassbender, soldat de sa Majesté également... critique de cinéma ; Mélanie Laurent la Parisienne épate par sa ténacité ; actrice allemande aristocrate qui espionne pour le compte des Alliés, Diane Krüger se surpasse et plagie presque Marlene Dietrich.
Tout ce petit monde se retrouvera dans une salle de cinéma à Paris, pour tenter de faire frire Hitler, Goebbels, Göring, Bormann... et d'en finir avec le Troisième Reich. Reste une question éthique : peut-on à ce point travestir l'Histoire ? Oui, car Tarantino montre suffisamment la dimension fictive de son film pour qu'on ne le confonde pas avec un documentaire historique.
Farouchement antinazi mais franchement germanophile : voilà l'ultime vertu d'Inglourious Basterds, qui a été tourné à Berlin, mentionne le réalisateur Georg Wilhelm Pabst, comprend pas mal de vedettes d'outre-Rhin (Daniel Brühl, Til Schweiger, August Diehl) et en révèle une, l'Autrichien Christoph Waltz, génial en génie du mal.
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