Lorsqu’on évoque la filmographie récente de Quentin Tarantino, on retient surtout l’influence et son amour pour le western qui se fait de plus en plus sentir à chaque film que ça soit par le cadre au sein du volume 2 de Kill Bill ou bien les codes qu'il reprend dans sa narration et sa mise en image, la nature cinéphage et cinéphile de l’auteur qui se démarque toujours un peu plus et enfin le rapport avec le public qui prend un tournant vis-à-vis de son style entre ses références dilués au cinéma d’exploitation ou au cinéma de genre, la violence graphique qui s’est révélé bien plus cru à partir de son diptyque axé sur la vengeance d’une ex-tueuse à gage et bien sur la loquacité ambiant qui finira par jouer en sa défaveur avec Le Boulevard de la mort.


Si la réception critique restait encore très largement enthousiaste avec ses films à la sortie de son septième film, le pari du film n’en est pas moins audacieux et culotté puisque les teasers et BA sortie durant sa campagne marketing se centrent très majoritairement sur l’événement clé du récit. Un événement qui pourtant n’arrivera que dans 40 dernières minutes après 1h50 dédiés à 4 chapitres préparant le terrain pour cette boucherie antinazi. 4 chapitres qui, de mon point de vue personnel, démontrent en quoi le cinéma de Tarantino est loin de toute superficialité contrairement à ce que les détracteurs ou les plus réticents pourraient croire.


On ne présente plus la séquence introductive du colonel Hans Landa, brillante non pas uniquement par la performance toute en finesse et en grâce de Christoph Waltz mais surtout par cette maîtrise du storytelling, de la mise en scène et de cette montée lente, progressive et étouffante en suspense qui en font de ces 8 minutes un chef d’œuvre à part entière. Le colonel SS fait l’un des plus beaux pieds de nez à toute caricature nazi fumante de puanteur par sa politesse, sa courtoisie et son intellect qui devient de plus en plus froid et présenté avec une telle banalité qu’il en devient monstrueux dans son raffinement.


Et ensuite, l’attitude du fermier français et du colonel sont mûrement réfléchie dans leurs échanges, dans la domination dans le dialogue par le colonel démontrant sa supériorité intellectuelle et sa ruse mais également sa cruauté masqué par son comportement en apparence aimable comme tout. Et ce après une introduction dévoilant son arrivée avec la troupe de soldat allemande sur fond de reprise western d’une musique classique précédemment créer par Morricone,


pour finir sur un massacre utilisant subtilement l’image via la fusillade à travers le plancher, affirmant la mort de la famille Dreyfus par la fuite d’une Shoshanna souillée et salie par la terre et des éclaboussures de sang, et non pas en le montrant frontalement et se contentant un peu plus tôt d’un lent mouvement à travers le plancher pour voir la famille.


Le deuxième chapitre va confirmer un point auquel j’ais tendance (en gros pro du cinéma Tarentinien que je suis) à ressortir un argument qui se confirme, selon moi, avec Inglourious Basterds : Quentin Tarantino ne se joue la joue pas glorificateur de la violence et son film de guerre n’est en aucune façon limité à un simple défouloir contre le régime nazi avec ses petites touches westernien et les échanges loquaces. Dans ces 5 chapitres, il n’y a que 5 séquences véritablement très sanglantes mais chaque chapitre ayant un enjeu (logiquement lié à la seconde Guerre Mondiale qui n’est pas la période la plus gai de notre histoire) va le justifier et jouer de l’humour noir pour la faire passer auprès du spectateur.


Que ça soit par les concours de circonstances malheureuse des deux derniers chapitres


(le plan d’Aldo de s’infiltrer en italien qui est kaput dés qu’Hans Landa démontre sa maîtrise de cette langue)


ou le sens de la réplique qui décontenance l’atmosphère ou les situations pesante (le fameux Bingo de Waltz, la comparaison du massacre d’un nazi par batte de baseball à une séance de cinéma) quand ça ne sont pas certaines morts juste… ben juste tellement Tarentinesque et sanguinolent dans ce rares moments d’extrême violence que ça en est hilarant


(voir Hitler et Goebbels mitraillés jusqu’à plus soif est aussi excessif qu’exquis à contempler).


Beaucoup s’appuie sur l’introduction de Landa pour citer d’Inglourious Basterds, mais j’aimerais aussi soulever la qualité indéniable du chapitre 4 se déroulant majoritairement en espace étriqué dans une taverne situé dans une cave démontrant comment un plan minutieux tourne à la fusillade. Là encore, tout repose sur le détail du dialogue


(d’abord le jeu pour détendre l’atmosphère, puis un léger effritement qui dévoile l’absence d’accent du lieutenant britannique suscitant la suspicion d’un officier allemand qui ajoute toujours un peu plus d’huile sur le feu et dévoile toujours un peu plus l’identité des infiltrés américains et anglais)


, la gestion de l’espace par la caméra de Tarantino (excellent boulot du chef opérateur Robert Richardson là encore), les acteurs et l’explosion de courte durée mais giflant le public en pleine gueule après avoir travaillé et fait monté la tension avec des bases solides et cohérente et des protagonistes qui fonctionnent dans leur parcours.


Car on s’intéresse à ces personnages, non pas par attachement ou par adhésion à leur cause, mais parce que leur culture personnelle est mise en valeur et les personnifie, en particulier par le cinéma très récurrent dans chacun de ces chapitres. L’affiche du Corbeau d’Henri Georges-Clouzot aperçu le temps de quelques plans ainsi que la tolérance amère affichée par Shoshanna en dit déjà long sur cette dernière, idem pour la présence du lieutenant Archie Hicox anciennement critique de cinéma (porté avec une élégance distinguée par Michael Fassbender) ou le héros de guerre Frederick Zoller dont les goûts cinéphiles, la gêne en voyant le film à sa gloire et l’attirance envers Shoshanna le rendent ironiquement plus sympathique que cette dernière et paradoxalement plus empathique en dépit de la pointe d’arrogance et d’insistance dont il fait parfois preuve.


Si à la limite on prend en peine Shoshanna Dreyfus dans un premier temps, elle devient elle-même futur bourreau en mettant sa nouvelle vie de côté pour une revanche flamboyante, Aldo Raines et ses bâtards ne sont pas moins barbares que les nazis allant jusqu’à inclure la mort des civils dans leur opération Kino et s’esclaffant d’une exécution de nazi à coup de batte de baseball, et Hans Landa retournant sa veste pour sauver sa peau en voyant la tournure que prend le conflit. Concrètement les héros n’existent pas chez Quentin Tarantino, simplement des figures filmiques qui l’inspirent et avec lesquels ils jouent pour les remanier et en tirer ici un récit ou tragédie, comédie noire, sous-culture et défouloir sanguinolent trouvent une symbiose quasi parfaite et font quelque chose de tout ce petit monde que ça soit du côté d’une résistante vengeresse, de juif américain chassant les allemands comme un indien chasse du gibier par un culte instauré par leur leader, ou de nazis présenté avec plus de nuance mais pas épargné pour autant.


Et on obtient là un récit uchronique qui est mais alors tellement de choses à la fois, excellemment réalisé encore une fois, interprété sur les chapeaux de roues par son casting entre révélation et nouveau collaborateur (Brad Pitt tellement loin des rôles qu’il a eu précédemment) et une rencontre des genres qui en font une autre pièce filmique d’exception au panthéon de sa carrière de cinéaste.

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