Publié en 2009, le roman Inherent Vice de Thomas Pynchon se voit adapté par le cinéaste Paul Thomas Anderson. L'occasion pour le metteur en scène de Boogie Nights de revenir à l'univers du film noir, presque vingt ans après son premier long-métrage, Hard Eight.
Rythmé par une voix-off comme surgie d'un songe enfumé, Inherent Vice est un sacré bordel narratif, une enquête brumeuse et labyrinthique qui demandera à votre esprit un sacré effort de concentration. Evoluant autour d'une poignée de protagonistes tous plus timbrés les uns que les autres, l'intrigue multiplie les sous-intrigues et les fausses-pistes, tout au long d'une errance où les digressions philosophiques et métaphysiques ont finalement plus d'importance que la résolution de l'énigme.
Mais là où Inherent Vice se prêtait à première vue à un hommage délirant au rythme soutenu et à la coolitude absolue, dans la droite lignée d'un The Big Lebowski, Paul Thomas Anderson fait le choix d'une approche totalement différente et loin d'être accessible. Soignant bien évidemment ses images et sa reconstitution du tout début des années 70, le cinéaste privilégie une mise en scène froide, presque austère, se rapprochant doucement mais sûrement de ses personnages au fil des séquences, les emprisonnant petit à petit par le biais d'une lumière limite blafarde et d'un cadre de plus en plus serré au fur et à mesure que les langues se délient et où la "vérité" éclate.
Une parfaite illustration de la sévère gueule de bois d'un rêve hippie ayant brutalement pris fin quelques temps plus tôt, dont la carcasse encore fumante ne permet plus que d'entrevoir les névroses et les saloperies se cachant derrière une belle utopie. Semblant complètement paumé au milieu de cette orgie de freaks (ou au contraire, comme un poisson dans l'eau, on ne sait plus trop), Joaquin Phoenix s'y montre parfait en privé loqueteux, secondé par des seconds rôles déjantés allant de Josh Brolin à Benicio Del Toro, en passant par Reese Witherspoon ou Martin Short, tous impeccables bien que souvent sous-exploités.
Bien qu'intéressante et formellement aboutie, la vision d'Anderson finie malheureusement par se mordre la queue, noyant le spectateur sous une durée conséquente et une palanquée de dialogues abscons. L'émotion peine à éclore, peu aidée par un rythme casse-gueule et une distanciation de plus en plus présente dans la cinéma de Paul Thomas Anderson.
Peu accessible malgré ses atours de stoner-comedy matinée de film noir, Inherent Vice est une oeuvre extrêmement particulière, visuellement irréprochable et bénéficiant à la fois d'un excellent casting et d'une bande originale planante, mais qui, de par ses partis-pris, risque de vous laisser au bord de la route, partagé entre fascination et profonde perplexité.