Grimé en un mix stylisé du Dude des frères Coen et du loup-garou de The Wolf Among Us, Joaquin Phoenix est à lui tout seul un festival de plans parfaits. Il campe Doc Sportello, une sorte de hippie sherlockien, paumé dans le Los Angeles des 70s.
Constamment auréolé d’un nuage au parfum de l’époque, il porte honteusement bien même les pires loques, et arbore les coupes les plus ridicules avec une aisance intolérable.
C’est cela, le génie esthétique d’Anderson.
Des néons verts à larges boucles forment un titre qui claque, une musique qui impose. Dès ce ban titre, voire même à la vision de l’affiche au design pop-sulfureux, on sait que chaque détail sera peaufiné, chaque gamme de couleur étudiée, chaque look travaillé.
Alors oui, si on devait juger un film au nombre de plans swaggés qu’il nous offre, Inherent Vice remporterait sûrement la palme 2015.
Mais à trop privilégier la forme, ne négligerait-on pas le fond ?
Car derrière cette façade impeccable, assortie de quelques moments d’une absurdité comique très efficace (Doc découvrant la photo du bébé difforme et se mettant à hurler) de quelques gags potaches plus lourdingues, derrière cette jolie carcasse donc, le scénario se révèle bien léger.
Si au départ on est vaguement intrigué par cette histoire de petite amie perdue surgissant de nulle part pour prévenir Doc du meurtre possible de son amant richissime, ça part comme qui dirait en couille par la suite.
A mesure que le buget en papier zig zag du film augmente, interviennent en effet successivement un club de biker néonazis, un dentiste pédophile, une héritière nymphomane, un voilier au nom de marde, une secte de hippies, une mafia chinoise et de la cocaïne en sac de 12 kilos.
L’ensemble n’a plus vraiment grand sens pour le spectateur au bout de quelques scènes se retrouve dans la situation où :
1) il entend les personnages s’expliquer l’intrigue entre eux ;
2) réalise que c’est censé être une scène d’exposition pour que lui spectateur comprenne ce qui se passe ;
3) se rende à l’évidence qu’il n’a rien bitté à ce que Doc et Bigfoot viennent de se dire avec un air entendu.
C’est bien le problème de l’adaptation littéraire : le manque de concision qu’un scénario alambiqué implique. Ça et les personnages secondaires useless dans le film, qui auraient pour certains grandement gagné à être plus développés, tel l’acolyte sans intérêt qui accompagne Doc.
Pour se faire pardonner, Anderson a néanmoins pensé à ajouter :
une scène de sexe sauvage qui donnerait presque raison à Moizi car elle implique une femme au « vice inhérent » cherchant à se faire fesser
Owen Wilson en agent secret infiltré dans une secte
des acteurs toujours justes, même dans l’absurde le plus total, même un peu perdus dans un scénario risible
de la musique qui tue, tue, tue (avec en bonus le petit track de Neil Young qui va bien)
Inherent est peut-être bancal, bourré de défauts. Mais ces 2h30 d’enquête sous substances, plongées dans le Los Angeles de la débauche (« d’avant la crise et d’avant le sida » diraient les Enfoirés) sont bel et bien passées aussi vite que la punition de Shasta.