Le 4 mars dernier est sorti Inherent Vice. Il s’agit du septième film du célèbre réalisateur Paul Thomas Anderson, à qui on doit des succès comme Boogie Nights (1997), Magnolia (1999), There Will Be Blood (2007), et plus récemment The Master (2012). Ce nouveau film est l’adaptation du best-seller homonyme de l’écrivain américain, et également très renommé, Thomas Pynchon (2009).
Ayant bénéficié d’une importante campagne de publicité, l’attente d’Inherent Vice s’est rapidement transformée en impatience générale. Ses affiches magnifiques, très détaillées, dessinées en vert et rose fluos, reprenaient non seulement tous les codes du retro (tubes néon ; affiches seventies façon Star Wars ; similitude avec le portrait psychédélique de Jimmy Hendrix par Jean Giraud), mais soulignait également un certain glamour californien (maquillage et coiffure à la Lana Del Rey, bikini et pair de jambes en l’air), et surtout le casting complètement épique qui gravite autour de Joaquin Phoenix, dans ses cheveux (l’affiche principale) ou à table (l’affiche secondaire qui parodie La Cène de Leonard de Vinci). En voyant cela, le public s’attendait à quelque chose de dément. Un cocktail, une extase, comme un Sin City (2005) multicolore et hippie, ou encore un festival psychédélique sur grand écran. Mais malheureusement le résultat est différent. Ne comptez pas sur l’humour, ne comptez pas sur l’action, il n’y aura aucun climax pendant la projection. Inherent Vice n’est rien de plus qu’un film noir sur fond amer de désenchantement. L’histoire d’une enquête pendant le naufrage de la contreculture, ce basculement entre l’insouciance et la paranoïa, et respectivement pour le spectateur, entre l’euphorie et la déprime, façon lendemain de soirée trop « chargée ».
Voici le pitch : Larry Sportello (Joaquin Phoenix), détective hippie d’une quarantaine d’années que tout le monde dans le milieu appelle « Doc », est chargé par Shasta Fay Hepworth (Katherine Waterston), son ex petite amie dont il est encore amoureux, de retrouver Michael Wolfmann (Eric Roberts), un milliardaire disparu dont elle est éprise. Doc se lance alors à sa recherche dans une intrigue confuse dans laquelle interviennent des agents du FBI, des nazis, des trafiquants, et quelques personnages secondaires récurrents comme « Bigfoot » (Josh Brolin) le lieutenant de la police, Coy Harlingen (Owen Wilson) un indic saxophoniste, Sauncho Smilax (Benicio del Toro) un pote avocat, et d’innombrables autres figures dont on ne se rappellera ni le visage, ni le nom, ni l’utilité à la fin de la projection.
C’est simple, le scénario est d’une insupportable linéarité, inconsistance et incompréhensibilité. Ne vous attendez pas suivre le récit, c’est tout bonnement impossible. Certains qualifiaient le roman d’inadaptable, mais tout de même ! Il y avait bien moyen de rendre le film accessible ou excitant d’une manière ou d’une autre ! Le résultat est beaucoup trop plat pour qu’il soit possible de se laisser porter, comme dans l’excellent Las Vegas Parano (1998) de Terry Gilliam. Ici on est obligé de subir 2h30 d’ennui mortel, oui vous avez bien lu. Pas de mouvement de caméra, pas de profondeur de champ, une narratrice crispante et un incessant défilé de pantins, qui viennent tour à tour cabotiner devant la caméra sans que rien n’en ressorte réellement, malgré la longueur et la fixité des plans. Leurs relations stériles et absurdes sont d’un inintérêt consternant. A certains moments l’indifférence du spectateur à leur égard laisse presque place à du mépris.
Sans surprise, le seul qui est à peu près réussi dans l'affaire est Larry Sportello. Joaquin Phoenix incarne un idéal que tout le monde à l’impression d’avoir déjà vu quelque part. Et pour cause, il est à lui tout seul une espèce de collage improbable entre différents mythes : John Lennon pour les lunettes, Peter Fonda dans Easy Rider (1969) pour les rouflaquettes, Bob Dylan pour les cheveux, Neil Young pour le Chapeau, et Jeff Bridges, ou « The Dude » dans The Big Lebowski (1998), pour son cool et sa démarche décomplexée de vieux célibataire. Mais malgré tout, lorsqu’il est pendu à son téléphone vert pâle (premier responsable de la distension du récit) il respire la mollesse à plein nez. Pourquoi n’y a-t-il donc personne en mesure de stimuler ce tout et de provoquer ne serait-ce qu’une petite escalade dans le récit ? On est vraiment à des années-lumière de There Will Be Blood (2007) là.
Il faut tout de même mentionner les quelques forces du film, là où réside le vrai nectar d’Inherent vice. Premièrement sa photographie (encore heureux). Les différentes lumières du soleil, les reflets nocturnes et les motifs californiens sont magnifiquement captés par Robert Elswit. Certains plans, dignes de tableaux, sont renversants. Deuxièmement sa musique. Le compositeur Jonny Greenwood nous emmène en ballade à chaque fois que ses morceaux se réinvitent à l’image. D’autres musiciens ont contribué à cette atmosphère musicale douce et planante, comme les membres de Radiohead, rien que ça ! Photographie et musique combinées, on obtient quelques instants intéressants. Par exemple : la scène d’arrivée au « Chick Planet Massage » sous le ciel bleu et les guirlandes rouges ; la scène du souvenir amoureux sous la pluie qui contraste avec un présent aride et solitaire ; la scène des aveux, des claques et du rapport brutal sur le canapé ; la scène du retour à la maison de Coy Harlingen etc.
En conclusion, Inherent vice n’est pas un divertissement universel. Il est d’ailleurs considéré à ce jour comme le moins bon des films de Paul Thomas Anderson (72% sur Rotten Tomatoes). Prétentieux et barbant pour une majorité qui n’y a peut-être pas vu l’expression d’un vide existentiel, il subsiste dans tous les cas un vide cinématographique. Un internaute comparait ce film « à une voiture dont les deux pneus arrières seraient crevés » c’est tout à fait ça. Assez peu d'intérêt à part celui de vous faire perdre votre temps. Amateurs de livres, achetez-vous donc l’original, et amateurs de cinéma passez votre chemin, ou contentez-vous de ses posters et du vinyle.