Lino Brocka est considéré comme l'un des chefs de file du cinéma philippin avec Lav Diaz qui sont peut-être bien les deux seuls cinéastes à s'être réellement fait connaître chez nous. Ne m'étant laissé entraîner que dans la filmo de Diaz, c'est avec un plaisir non dissimulé que je m'ouvrais à un autre réalisateur car le cinéma c'est aussi voyager et partir à la découverte d'autres cultures cinématographiques. Il n'y a rien de plus triste que d'en rester aux pays occidentaux classiques tant le monde a à nous offrir en pellicules. Si "Manille : dans les griffes des ténèbres" fut une agréable séance, c'est bel et bien à "Insiang" que je dois mon gros gros coup de coeur.
Au fur et à mesure de l'histoire, c'est dingue à quel point j'ai pu ressentir ce côté néoréalisme italien. Le panorama des bidonvilles, une population de laissés pour compte, la pauvreté filmée sous toutes les coutures, la déshérence d'hommes qui n'arrivent pas à rentrer sur le marché du travail souvent par manque de conviction (on pense au génial Accattone de Pasolini), l'abandon, le désarroi face à un pouvoir politique qui semble les avoir oublié. Et au milieu les déboires d'une famille éclatée entre une maman cougar, un beau-papa macho qui ne cache pas son attirance envers sa belle-fille et bien sûr celle-ci, Insiang, victime d'une structure familiale vacillante où il n'y a plus de repères affectifs. La présence de nombreux acteurs "amateurs" renforcent réellement le caractère néoréaliste qui a tant apporté dans la richesse du Septième Art.
Brocka filme la détresse d'une jeune fille, son malheur d'avoir comme mère une femme tyrannique qui la met en cage. Elle ne peut vivre son amour comme elle le désire. L'emprise maternelle est toujours là et face à cette intrusion omniprésente, une cassure se fera jusqu'à prendre des graves proportions. "Insiang" confirme que la simplicité peut souvent mener à des chefs-d'oeuvre si le projet est géré de A à Z. Les sentiments sont là, notre empathie face à l'impuissance de cette pureté féminine. On est révolté aussi car la réalité est décrite avec une spontanéité dérangeante. Les choses ont-elles seulement changées entre 1976 et 2021 ? N'étant encore jamais parti en vacances là-bas (mais c'est un gros projet !), je ne peux statuer sur la question mais ce que j'espère est que leur quotidien s'est amélioré. "Insiang" est un film d'importance qui sait taper là où ça fait mal et si l'on accusera une tendance parfois maladive du combo gros plan sur le visage + musique triste, rien n'est artificiel.
Peu de choses à dire car ça n'en vaut pas la peine. Un visionnage vaut mieux qu'un long discours.