Avec Insomnia, Christopher Nolan passe son grand test chez la Warner en réalisant ce film de commande, remake éponyme norvégien réalisé par Erik Skjoldbjærg en 1997. La pression est d'autant plus forte puisque le jeune réalisateur doit diriger deux grands acteurs que sont Al Pacino et Robin Williams.
Bien que ça ne soit pas un projet personnel, Nolan va déployer tout son talent pour mettre en scène cette histoire avec l'ambition qui le définissait déjà à l'époque.
Cela se traduit par le fait de jouer avec les codes du polar. Là ou habituellement un thriller policier se caractérise esthétiquement par son aspect sombre, Nolan et son chef opérateur Wally Pfister vont au contraire se servir de la lumière. La lumière est un élément capital non pas seulement en tant qu'identité visuelle (certains plans sont de toutes beautés) mais elle participe pleinement à l'intrigue ainsi qu'à installer l'une des thématiques centrales du cinéaste : le temps.
Dans la filmographie de Nolan, le temps est traité en général d'une façon bien spécifique. Grâce au montage, il déstructure sa narration pour mettre en avant cet aspect important de ses œuvres (The Following, Dunkirk). Bien que dans Insomnia la narration soit linéaire, il va une fois de plus constamment brouiller la temporalité en se servant de la lumière.De cette manière, le protagoniste et le spectateur se retrouvent désorientés en ne distinguant plus le jour de la nuit. Le thème de prédiction du cinéaste va de ce fait jouer un rôle important dans la psychologie du protagoniste. Lors de ses nuits agitées, Will Dormer (Dormer qui pour nous francophone peut faire allusion au sommeil) va se retrouver face à lui-même et ses erreurs passées.
En plus de la clarté, le film joue également avec ses personnages, il s'amuse là aussi à renverser les règles du genre en inversant les rôles. Le flic qui doit arrêter le criminel devient la victime du chantage et des manipulations de celui-ci. Le chasseur devient la proie et vice-versa. Plus que l'enquête qui n'est finalement secondaire, c'est l'affrontement psychologique et les souffrances de son protagoniste qui intéressent Nolan.
Afin de rendre ce face à face haletant, c'est Al Pacino qui une fois de plus interprète un policier. Il y apporte une facette inédite de ses rôles antérieurs de flic ou il faisait appel à toute son humanité (Serpico) ou son énergie (Heat), son personnage dans Insomnia est désabusé, épuisé.
Dormer est fatigué par le manque de sommeil et par le poids de sa culpabilité, deux éléments que l’on retrouve dès le générique. À l'écran, cela se traduit lors d'une remarquable scène au commissariat ou les effets de l'insomnie sont pleinement ressentis. Le son que dégage le moindre objet devient gênant et envahissant. Physiquement, les paupières de Pacino s'alourdissent au fur et à mesure que le film avance, le visage est de plus en plus marqué et blanchâtre, les gestes et la démarche s’alourdissent, les hallucinations deviennent plus régulières.
Quant à Robin Williams, il excelle dans ce rôle à contre-emploi que représente Walter Finch. Son calme inébranlable et la méticulosité dont il fait preuve en font un psychopathe très crédible. La performance d'Hilary Swank n’est pas oubliable, en tant que rôle secondaire elle arrive totalement à coexister aux côtés de ces deux mastodontes du cinéma et dont l'arc narratif sert à poser sur la table le sujet sur l'intégrité et qu'elle en est la limite.
Christopher Nolan passe avec brio le test de la Warner. Il est arrivé à imposer ses thèmes de prédilection tout en mettant en scène une histoire comportant trois intrigues sans donner une impression de lourdeur. On regrettera tout de même quelques fissures au niveau du rythme, mais qui n'auront que très peu de conséquence sur le plaisir et l’intérêt que l’on porte au métrage. Avec un score de 113.7 millions de dollars pour un budget de production de 46 millions de dollars, ce succès permettra au jeune premier d'Hollywood d’avoir les portes grandes ouvertes pour concrétiser des projets pleins d'ambitions qui n'auront pour égales que son imagination.
Pour en savoir plus sur Insomnia (anecdotes ou témoignages) c'est par ici :
Looking for Al: le Parrain Shakespearien