2021 n’a pas exactement été une grande année pour ce genre fascinant qu’est l’Horreur d’Auteur (à défaut d’un meilleur nom, utilisons celui-ci). Les pontes de la catégorie, Ari Aster, Jordan Peele et autres Robert Eggers, ont tous profité du coronavirus pour remettre leurs nouveaux projets à plus tard ; et l’ascension sur le devant de la scène de jeunes réalisateurs dynamiques qu’on aurait pu attendre d’une telle opportunité ne s’est tout simplement manifestée. Le mieux qu’on ait pu faire, c’est le Censor de Prano Bailey-Bond, certes tout à fait honnête mais qui ne déblaie pas beaucoup de nouveau terrain – et derrière lui, une légion d’imitateurs du style des productions A24, comme Saint Maud, qui sentent bon l’encre de photocopieuse.


De ces imitateurs, False Positive restera probablement comme le pire, et probablement comme l’un des plus mauvais films produit par une tendance pourtant en général singulièrement intéressante. Je ne vois guère que le répréhensible The Blackcoat’s Daughter d’Osgood Perkins comme plus dispensable dans le genre de l’épouvante à la A24 – et encore y avait-t-il dans celui-là une démarche artistique peut-être ratée et inaboutie, mais sincère ; une mise en scène à mon sens inadaptée, mais qui avait le mérite d’exister.


Car c’est bien là le principal problème de False Positive (pas le seul, que nenni, mais celui qui frappe et consterne le plus) – sa mise en scène ne fonctionne absolument pas. Ce n’est pas qu’elle soit banale ou clichée, ce dont un grand nombre de films d’horreur médiocres ont l’apanage. Pire : elle est incohérente. Tout sonne faux. L’artificialité des plans, l’effet esthétique, est quelque chose de tout à fait justifiable au cinéma, elle a par exemple fait les grandes heures du giallo, mais elle est ici utilisée sans aucun sens ni méthode. Il n’y a aucune progression dans la logique visuelle du métrage. Dès les premières minutes, on voit l’image de l’héroïne fracturée en mille reflets par un miroir, et des nappes de synthé qui fait bwom à la Hans Zimmer viennent accompagner chaque moment de la grossesse. Pas un geste du petit ami ou du médecin qui ne soit pas immédiatement codifié comme sinistre par trente-cinq signaux différents. Pas un seul moment où le malaise, l’ambiguïté peut vraiment s’installer. Le moment peut-être le plus significatif à ce niveau-là intervient lors de cette scène de procédure gynécologique. Pendant quelques instants, il y a, pour la première et la seule fois, un authentique inconfort à l’écran, porté par guère plus que de voir une femme subir une procédure médicale certes routinière, mais invasive : pensez, par exemple, aux scènes d’examen médicaux que la petite Regan subit dans L’Exorciste, et vous comprendrez que c’est un « truc » de réalisation tout à fait efficace et dans le ton du projet. Et là, au lieu de poser une ambiance, dans rester dans la gêne, on passe immédiatement à du sang, des visions, un filtre rouge qui envahit l’image, et les hommes qui discutent d’un projet que l’on devine machiavélique en voix-off. C’est d’une bêtise proprement consternante.


Qui plus est quand le film est, dans son principe même, un plagiat éhonté de Rosemary’s Baby. Que l’on copie les classiques, pas de problème – je n’ai d’ailleurs pas une grande affection pour l’original –, mais les emprunts ne font que souligner à quelle point la réalisation de Polanski était meilleure. Et quand je dis meilleure, ce n’est pas « brillante » qu’il faut comprendre, mais simplement « fonctionnelle ». Une compréhension basique du suspens, une économie de moyens déployée à bon escient – ça aide. Pour pousser plus loin dans le non-sens, l’intrigue du film est à tout point de vue beaucoup plus sage que celle de son modèle. Pas de pactes avec le diable et d’antéchrists en vue, juste une histoire un peu extravagante certes, mais que l’on pourrait qualifier de « réaliste » en plissant un tantinet les yeux. D’où alors, vient le côté expressionniste flamboyant qu’on s’amuse à nous déverser au visage à longueur de pellicule ? Pourquoi fallait-il habiller ce scénario en forme de fait divers des oripeaux hystériques d’un Midsommar sous LSD ?


Précieux, c’est peut-être le mot qui qualifie le mieux l’approche du film. Comme l’entendait Molière avec ses précieuses ridicules. Une mise en scène de l’enluminure, du colifichet, jetée sur les genoux du spectateur comme un hochet dans l’espoir vain que cette guirlande de coquetteries visuelles délivrera son esprit de l’indigence du scénario. Et vas-y que je t’hallucine des taches de sang, et vas-y que je te balance des séquences de rêve pleine de symboles sexuels, à gauche, à droite … au lieu de développer un propos, une émotion, une écriture quelconque. Ou même une intrigue qui marche – voir l’héroïne qui obtient des informations essentielles au développement de l’intrigue par voie directe de rêves prophétiques, le dernier ressort du scénariste désespéré.


Pendant ce temps-là, toute présence et cohérence que les personnages pourraient avoir est absolument annihilée : on ne sait rien du couple qui doit retenir notre attention pendant plus d’une heure. Ils sont d’une banalité confondante, des grands bourgeois américains sans famille, sans attache, sans relations personnelles autres que celles requises par la construction narrative du film. Pas des personnages : des épouvantails qui s’agitent au besoin du scénario, et qui ne semblent mus que par la sourde rythmique des clichés. Mention spéciale à ce personnage d’infirmière au sourire figé, dont on connaît immédiatement la destinée après l’avoir entendue pendant cinq secondes. Pierce Brosnan sauve un peu les meubles, autant qu’il le peut, avec son charisme bien British et ses efforts désespérés pour rejouer la performance des parents blancs dans le Get Out de Peele, mais même James Bond ne peut pas échapper à la chape d’ennui inévitable (ennuyeux parce qu’inévitable) qui pèse sur la scène.


A l’ennui vient s’ajouter un froncement de sourcils devant un propos qui tourne parfois au rance. Enfin, qui tourne, c’est beaucoup dire – il est en réalité très difficile de savoir ce que le film dit au premier degré, et ce qu’il induit par l’ironie. La vie de yuppie consumériste des protagonistes ne semble pas être objet de ridicule en tant que telle (et pourtant, Dieu m’est témoin qu’ils sont insupportables), mais pourtant, au détour d’une scène, voilà l’héroïne qui se retrouve accusée (à raison) de perpétuer des clichés racistes dans son rapport avec un personnage noir, alors que le film adoptait justement ces clichés comme partie pleine et entière de sa mise en scène quelques minutes plus tôt. Comment, alors, lire ce propos sur la science gynécologique comme instrument d’oppression (ce qu’il peut souvent être dans les faits, certes, c’est un des rares mérites du film que de le souligner) qu’il faudrait abandonner pour « embrasser pleinement son rôle de mère » et accepter la douleur de l’accouchement comme symptôme du Divin Féminin, digne du pire du pop-féminisme new age ? Une conviction vraiment portée par l’autrice du scénario, également interprète principale (peu convaincante au demeurant) ? Ou une espèce de satire à moitié assumée ? On aimerait être indigné ou offensé – ce serait toujours mieux que d’être confus. Le seul moment qui arrive à être désagréable, c’est cet usage assez ... intéressant de l’homosexualité (possible ?) de l’un des personnages comme vecteur d’horreur : on peut comprendre que dans The Shining une fellation entre homosexuels ça ait choqué le bourgeois, mais en 2021 et sans costume de nounours, on sent vraiment l’étendue toute relative de l’imagination horrifique des créateurs.


On se consolera bien malgré soi en se disant que les intentions derrière tout ce bordel étaient nobles, qu’il s’agissait d’attirer l’attention sur la détresse (réelle, et importante) encourue par les personnes enceintes … Mais avec de bonnes intentions, on fait à la limite de la charité, pas du cinéma qui vaille la peine d’être vu.

EustaciusBingley
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le 5 sept. 2021

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