Le lundi 20 février 2023, j’ai eu la chance d’assister à l’une des avant-premières du film Interdit aux chiens et aux Italiens en Belgique. Cette projection unique se couronnait par la présence du réalisateur, Alain Ughetto. L’essentiel des informations beaucoup reposeront sur les explications du réalisateur.
Par cette critique, je vais vous exposer davantage mon ressenti personnel et mes réflexions socioculturelles plus éloignées de la critique purement technique du film, même si ces éléments sont intimement liés. Ces réflexions sont nées de l’échange avec le réalisateur. Je noterai qu’il s’agit de ma seconde grosse rencontre de réalisateurs ou de personnalités du septième art, après Bouli Lanners.
Tout d’abord, je vous propose un petit mot sur l’événement en lui-même. Le film fut projeté dans le cadre du festival Anima. « Chaque année, l’ASBL Folioscope organise Anima, le Festival international du film d’animation de Bruxelles. Anima propose exclusivement des films d’animation pour les grands comme pour les petits (j’avais par exemple assisté aussi à la projection du film Grosse colère et fantaisies réalisé par Célia Tisserant et Arnaud Demuynck et inspiré du livre pour enfant éponyme). Le Festival est également décentralisé dans près de 10 lieux en Wallonie et en Flandre »https://animafestival.be/fr/a-propos/anima-en-bref . C’est dans ce contexte que j’ai assisté à l’événement au cinéma La Sauvenière à Liège.
Après cette digression, je vous propose d’entrer au cœur de mes propos concernant le film en lui-même.
Un film plein d'amour et de passions :
Le film raconte l’histoire du grand-père du réalisateur, Luigi, né fin du 19e siècle. Le moins que l’on puisse dire, c’est que la vie de son grand-père et de sa famille qui l’accompagne, comme beaucoup de gens à l’époque et dans ce cas-là, des immigrés italiens, ne fut pas simple : entre misères (symbolisé par l’habitat et la nourriture essentiellement-voir note 1), guerres (deux conflits, la guerre de Lybie en 1911et la Première Guerre mondiale) et travail pénible (notamment le chantier du tunnel du Simplon entre la Suisse et l’Italie). Une vie semée d’embûches et pourtant qui respire l’optimisme.
In fine, Luigi a atteint son objectif, obtenir un terrain, être propriétaire et avoir une belle maison.
L’histoire m’a marquée, car elle me rappelle celle de mon regretté grand-père qui fut également immigré italien, mais en Belgique. Une réminiscence qui s’est symbolisée par la musique (la scène du bateau aux USA m’a ému) portée par le célèbre Nicola Piovani.
Au terme de la projection, j’ai d’abord noté le travail colossal du réalisateur. Il lui a fallu neuf ans de travail pour que le projet puisse aboutir. Cette longueur s’explique par un travail d’artisan minutieux mis en scène explicitement dans le film. Il y a aussi les conséquences de la crise de la Covid qui a causé deux ans de retard dans le planning de réalisation. De plus, je saluerai la beauté esthétique de certains arrières plans, notamment des Alpes italiennes.
Enfin, je vous propose, comme annoncé en introduction, de revenir sur une réflexion socio-culturelle, dont le point de départ sera le titre du film :
Le titre fait référence à une scène précise du film : au moment où ils arrivent dans une nouvelle ville en France, on observe une pancarte "interdit aux chiens et aux Italiens ". À cet écriteau, le grand-père Luigi déclare avec humour : « c'est pour éviter que les Italiens se fassent mordre par les chiens, mais nous, on les aime les chiens... ». Comment tourner une triste réalité de l'époque avec humour... Le réalisateur a déclaré avoir découvert l'image de cette pancarte d'abord en Belgique. Puis, il a découvert l'existence de telles pancartes aussi en France, après plus de recherches (cf. note 2). Cette scène, également marquante, mais sur laquelle le réalisateur n'insiste étonnament pas, est une reconstitution de ce souvenir telle que l'aurait vécu sa famille à cette époque.
Mais ce qu’il ressort clairement de l’histoire est le véritable déracinement ou enracinement de ces immigrés en France : il y a la perte du nom italien au profit d'un nom français ou bien, le fait de donner directement un prénom à consonance française. Par cet acte, on pourrait ressentir une volonté de faire table rase de la vie misérable en Italie. Cette misère, on la perçoit clairement par le fait de ne pas pouvoir manger à sa faim, de se diviser des morceaux de pomme de terre ou de faire des plats initialement simples et pauvres.
Mais, si déracinement il y a eu, une chose persiste : la culture culinaire. Cette cuisine que l’on pourrait qualifier d’ethnique était tout au long du film symbolisé par la polenta et les gnocchis de pomme de terre. Il s’agit de plats typiques du nord de l'Italie.
Si au terme de cette critique, vous avez étonnamment envie de manger des gnocchis aux pommes de terre, c’est tout à fait normal. C’est aussi un ressenti que j’avais pendant la projection de ce film. Si vous vous demandez quelle est la bonne recette, je vous dirai simplement d’y ajouter de l’amour et de la passion, c’est ce qu’il ressort de ce film que je vous recommande vivement. Un devoir de mémoire familial que je salue.
Note 1: Si les conditions de vies de ces personnes à cette époque, fin du 19e, première moitié du XXe vous intéressé, je vous renvoie vers le livre qui a par ailleurs inspiré le projet du film, Le monde des vaincus/ mondo dei vinti, de Benvenuto Revelli. Je dispose de la version italienne.
Note 2 : pour ma part, je ne suis jamais parvenu à retrouver la source exacte de cette photographie qui est assez connue en Wallonie (utilisée à des fins mémorielles et didactiques pour débattre autour des questions de l'intégration) et qui présente une pancarte interdisant l’accès aux chiens et aux Italiens au café. Je peux simplement dire approximativement qu’elle se situerait à Charleroi, sûrement Marcinelle et qu’elle daterait des années 50.